C’est une singulière affaire qu’examine aujourd’hui mardi la première chambre du tribunal administratif de Rouen. Un détenu du centre de détention de Val-de-Reuil assigne devant cette juridiction le ministère de la Justice. « C’est l’histoire d’un détenu qui n’est pas témoin de Jéhovah mais qui s’intéresse à cette religion. Il n’a pas pu accéder à un aumônier pendant plusieurs années. Sept ans ! Ce n’est pas rien », résume son avocat et défenseur de personnes détenues témoins de Jéhovah, Me Michel Trizac du barreau de Paris. « À l’époque, l’administration pénitentiaire était réticente à nommer des aumôniers. »

UNE DÉCISION MAJEURE DU CONSEIL D’ÉTAT

Cette « réticence » s’explique en partie par le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes qui, en 1995, dans sa première publication officielle, avait classé les Témoins de Jéhovah dans cette catégorie. « Secte, cela ne veut rien dire juridiquement parlant », tranche Me Trizac. Ce classement aura été le principal point de blocage de l’administration pénitentiaire qui autorise, par ailleurs, la pratique de plusieurs cultes dans ses prisons (lire ci-dessus). « Le second argument avancé est qu’il n’y a pas assez de personnes concernées pour autoriser des aumôniers. »

Les procès des Témoins de Jéhovah se multiplient devant les juridictions administratives ou pénales. En 2000, le Conseil d’État reconnaît qu’ils sont une association cultuelle. En 2005, la circulaire Raffarin ajoute que le recours à des listes est à éviter « au profit de l’utilisation de faisceaux de critères ». En 2011, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnait la France pour atteinte à la liberté de religion, dans le cadre du contentieux fiscal qui opposait l’association à l’État français.

Enfin, le 16 octobre 2013, le Conseil d’État tranche : après des années de procédure, les Témoins de Jéhovah entrent un peu plus dans la norme des relations entre les cultes et l’État. Le Conseil d’État juge illégaux les refus d’agrément d’aumôniers des établissements pénitentiaire. Tout comme les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel saisis avaient censuré le raisonnement de «l’insuffisance du nombre de détenus pratiquants », le Conseil d’État estime que ce motif n’était pas suffisant. Une consécration de leur statut cultuel en quelque sorte même si la suspicion des politiques, administratifs et associatifs reste toujours forte sur les croyances et les pratiques religieuses des Témoins de Jéhovah.

« Pour la première fois nous avons eu la possibilité d’avoir des agréments », se souvient Jean-Marc Fourcault, premier aumônier national des prisons pour les Témoins de Jéhovah. Une centaine d’aumôniers sont désormais répartis en France, dont deux en Haute-Normandie à la maison d’arrêt de Rouen et au centre de détention de Val-de-Reuil. « Jusqu’à présent, un détenu pouvait nous rencontrer mais uniquement comme visiteur de prison et au parloir qui n’est pas un lieu approprié à la prière, à l’étude de la religion ou à la confession. Un aumônier offre beaucoup plus de possibilités. Quant au rapport de 1995, il n’a toujours engagé que ses auteurs mais pas ceux qui sont chargés de l’application du droit. Le Conseil d’État, dans son arrêt, n’a fait que confirmer la jurisprudence constante », insiste Jean-Marc Fourcault.

Le détenu de Val-de-Reuil devrait être fixé sur son cas un mois après l’audience du tribunal administratif.

source :
http://www.paris-normandie.fr/detail_article/articles/1794075/actualites+faits-divers/quel-culte-en-prison#.VFnuevmG-Lg
par a.lemarchand@presse-normande.com