trois ans, il multiplie les démarches auprès des autorités pour faire fermer le centre.

« Tout ce que je fais, dit l’homme de 60 ans, c’est de me consacrer à la cause pour éviter que d’autres personnes soient victimes de cette arnaque. J’aide ceux qui en sortent, j’écris des plaintes, je ­rencontre des politiciens. Quand j’aurai atteint mon but, je rentrerai chez moi en Colombie-Britannique. »

Narconon Trois-Rivières affiche un taux de succès ­nettement supérieur à la moyenne, près de 80 %. Le centre de désintoxication attire presque exclusivement des Canadiens-anglais et des Américains.

Love est traité en compagnie d’une soixantaine d’entre eux. Après avoir complété le traitement, il y est engagé comme employé. Ce genre de parcours est d’ailleurs celui d’un bon nombre de gens qui travaillent au centre passant de patients à intervenants.

Chez Narconon, on ne trouve aucun spécialiste diplômé en toxicomanie au sens traditionnel. Psychologues ou médecins sont aussi absents et ce n’est pas la moindre singularité de ce programme qui coûte près de 30 000 $

Le site de la cure résume ainsi le programme de Narconon Trois-Rivières : « offre une démarche complète et naturelle, sans substitution de drogue ni prise de médicament. Son immense succès repose sur la combinaison unique des bienfaits d’une désintoxication biophysique suivie d’une séquence précise de gains exclusifs d’apprentissage acquis grâce aux cours d’amélioration de la vie. »

Engueuler un cendrier

Selon d’anciens patients, au début du traitement, ces derniers doivent engueuler un cendrier ; c’est l’exercice du contrôle. Un autre exercice consiste à fixer le mur pendant de longues heures ou regarder sans ciller un autre patient. Certains doivent éliminer de leurs relations des parents et amis jugés nuisibles par les intervenants. Après cette première phase, il leur est permis de faire le « parcours de purification », qui consiste à passer de cinq à six heures par jour dans un sauna pendant plus de trois semaines.

Quand on entre chez Narconon à Trois-Rivières, un portrait de L. Ron Hubbard, mort en 1986, trône dans le hall d’entrée. L’homme est le fondateur de l’Église de scientologie, il était à la base un auteur de science-fiction.

La cure administrée à Trois-Rivières est basée sur ses écrits. Narconon est d’ailleurs une marque de commerce possédée par une autre entité légale : A.B.L.E dont la mission est, selon leur site Internet, « de débarrasser le monde de ses maladies sociales : tels la drogue, le crime et l’analphabétisme à travers les méthodes élaborées par L. Ron Hubbard. »

Selon l’auteur, les drogues se logent à long terme dans les tissus adipeux du corps. Une demi-vérité : certaines drogues ne se logent que transitoirement dans les graisses. Quoi qu’il en soit, pour que la drogue sorte du corps, selon Hubbard, il faut transpirer, ce qui explique le sauna. Pour aider à la sudation, on leur fait ingurgiter de l’huile végétale ainsi qu’une vitamine appelée niacine en très forte dose ; jusqu’à 5000 milligrammes par jour. La quantité recommandée par Santé Canada est de 500 mg quotidiennement.

Ni Narconon, ni l’Église de scientologie de Montréal n’ont rappelé le Journal.

Organisation contestée

· Selon le blogue de Narconon, les évaluateurs du Conseil québécois d’agrément (CQA) ont passé récemment du temps au sein de l’organisme et ont interrogé des patients et des membres du personnel. Leur rapport déterminera si Narconon obtiendra ou non un permis du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui a mis en place un processus d’accréditation des différentes cures offertes au Québec.

· Selon l’Agence de la santé et des services sociaux de la Mauricie, le rapport du CQA sera envoyé à un comité d’experts, qui recommandera à l’Agence d’accorder, ou non, une certification à Narconon. Le processus pourrait prendre quelques semaines voire quelques mois

· Un procès contre une succursale de Narconon dans l’État de la Georgie doit s’ouvrir prochainement aux États-Unis. Un jeune homme y serait décédé de surdose.

·  Au début de février, les autorités danoises ont fermé temporairement un centre Narconon dont les installations étaient jugées inadéquates.

· 2010, Narconon Trois-Rivières déclare un total de revenu provenant de la vente de biens et de services (à l’exception des revenus de sources gouvernementales) de 2 526 630 $.

·  En 2010, Narconon Trois-Rivières déclare que 109 personnes travaillent à temps plein pour l’organisme, ce qui lui coûte 414 000 $ en salaire.

·  Créée en 1954 par l’écrivain de science-fiction Ron Hubbard, la scientologie revendique actuellement 12 millions d’adeptes dans 150 pays.

Les plaintes fusent

Après avoir terminé son traitement, David Love a été engagé comme employé chez Narconon. Son travail : colliger des statistiques sur le taux de succès de la cure.

L’homme se rend compte que les chiffres seraient trafiqués. Il fait donc des recherches sur Internet à propos de l’établissement et entre en contact avec Info-Secte, qui l’aide à sortir de là, en novembre 2009. Love est aussi appuyé par le groupe Anonymus, qui combat ouvertement l’Église de scientologie dans le monde.

 Love déposera d’abord une plainte à la Commission des normes du travail du Québec à propos du salaire qu’on lui versait : 2,50 $ l’heure. Il sera dédommagé par Narconon.

 En octobre 2010, il porte plainte au Collège des médecins contre le Dr Pierre Labonté. Le médecin attitré du centre trifluvien est pourtant basé dans la région de Montréal. Ce dernier sera sévèrement blâmé, en juillet 2011, par le Collège pour manquement à l’éthique professionnelle. On lui interdit de retravailler avec Narconon.

 En octobre 2010, Love porte plainte à l’Agence de la santé et des services sociaux du Québec. Le rapport du commissaire suggère que le comité de certification établisse clairement si le traitement est religieux. En outre, le commissaire souligne que l’absorption massive de niacine soulève d’importantes questions. Il cite à cet égard un avis de l’Institut de santé publique du Québec sur la toxicité de la vitamine.

 En août dernier, Love envoie une autre plainte au Collège des médecins pour pratique illégale de la médecine ainsi qu’une plainte à la Commission québécoise des droits de la personne pour exploitation de personnes handicapées. Une enquête est en cours.

 Depuis le début de 2012, L’Agence du revenu du Canada a aussi reçu une plainte, car le centre de désintoxication est inscrit sur la liste des organismes de bienfaisance du Canada dans la catégorie : Bénéfice à la communauté.

L’agence a fait savoir à monsieur Love que sa plainte avait été dirigée aux personnes compétentes.

Source : Émilie Dubreuil / Le Journal de Montréal
samedi 03 mars 2012

http://www.journaldemontreal.com/2012/03/02/un-homme-en-mission