Face au réveil oecuménique mondial, les athées doivent se compter. D’autant que ni l’athéisme ni l’agnosticisme ne semblent offrir une alternative valable.

Fumée noire! A l’instant, nous distinguons une fumée noire.» David Pujadas (France 2) le 18 avril dernier n’y tenait plus devant le premier verdict relatif à l’élection du successeur de Jean-Paul II. Quelques jours plus tôt, son alter ego, Béatrice Schoenberg, en larmes, commentait les dernières secondes du Saint-Père, présenté sur toutes les chaînes comme le dernier messie… La France laïque était en berne sous la pression, notamment, de l’épouse très pieuse du Président de la République… Combien, dans le monde, ont suivi l’événement? Deux milliards? Qui n’était pas à l’enterrement de Karol Wojtyla, musulmans, juifs et athées confondus? Oubliés, ses conseils d’abstinence devant l’épidémie du sida, ses propos archaïques sur les homosexuels et les «hommes sans Dieu», ses refus de réformes d’envergure en matière de prêtrise des femmes, de célibat des prêtres, de démocratisation de l’institution de l’Eglise: le tsunami déiste a tout submergé après la mort du très charismatique et très cosmopolite Jean-Paul II. Est-ce en réponse à l’angoisse de l’avenir? A la concurrence de l’Islam à la force spirituelle tellement plus vivace? A une obsession mortifère propre à toutes les sociétés en déclin? Quoi qu’il en soit, les agnostiques et, bien plus encore, les athées, doivent se compter face à ce réveil oecuménique.

Combien sont-ils, les mécréants? 5pc aux Etats-Unis (cloîtrés dans les grandes villes côtières), autant en Terre d’Islam (qui n’osent le revendiquer) et en Amérique latine (noyés sous la masse des nouveaux évangélistes), de moins en moins dans la Sainte-Russie, empêchée de prier pendant 75 ans et 200 millions, peut-être, en Europe de l’Ouest, dernière digue pour les sans-Dieu donnant l’impression, sur six milliards d’humains, d’être une poignée de brebis égarées, à ramener rapidement dans le droit chemin.

Certes, la pratique religieuse n’a cessé, en Europe, de reculer ces vingt dernières années. Certes aussi, la croyance est multiple, dispersée, concurrente, parfois antagoniste. Et les athées pénitents semblent pouvoir encore séduire de nouveaux «adeptes» et tirer les marrons du feu.

Reste que, aux Nations unies notamment, se noue, en permanence, une alliance objective entre tous les fondamentalismes pour condamner l’avortement, l’homosexualité, l’émancipation féminine, la «démocratie athée». Qui plus est, le combat démographique est inégal entre les pays à dominance religieuse et ceux à forte minorité athée. Et comme, pour l’essentiel, la croyance comme l’agnosticisme est affaire d’éducation, les «guéris de Dieu» sont condamnés à être de plus en plus minoritaires, pris en sandwich entre, à l’Ouest, le réveil chrétien des deux Amériques, à l’Est la bigoterie orthodoxe russe retrouvée et, au sud, la force prosélyte de l’Islam. Sans compter la santé insolente des sectes plus ou moins nuisibles et l’expansion démographique des bouddhistes et shintoïstes.

Le droit de ne pas croire que le Ciel soit habité, la conviction que la Science décantera l’inexpliqué, la certitude que rien ne subsiste après la mort si ce n’est le souvenir laissé dans le coeur de nos enfants, aura-t-il été une parenthèse dans l’Histoire humaine?

Il est un fait que les thuriféraires de la «morale laïque» forts de leur «baptême laïque» et autres pâles imitations des rites religieux n’ont pas réussi à créer une «spiritualité athée» qui puisse constituer une alternative valable aux religions révélées. Et devant les inconnues d’un monde en mue de plus en plus erratique et rapide, à quoi se raccrocher sinon aux certitudes du chemin tout tracé par les religions? Est-ce un hasard si nos pays sont les plus gros consommateurs d’antidépresseurs? La croyance, n’est-ce pas le seul moyen d’échapper au difficile exercice de la liberté?

«En philosophie, il y eut jadis une époque "Mort de Dieu", écrit Michel Onfray dans son dernier livre. La nôtre serait plutôt celle de son retour.» D’où l’urgence, selon lui, d’un athéisme argumenté, construit, solide et militant. Toutefois, la solitude de son combat apparaît dans toute sa splendeur face au raz-de-marée religieux. Qui ose encore aujourd’hui affirmer haut et fort son athéisme? C’est plutôt derrière un agnosticisme plus politiquement correct -plus conforme à la science, en somme, puisque la preuve de l’inexistence de Dieu est impossible à apporter- que les sans-Dieu se présentent aujourd’hui.

Pourtant, même si l’Histoire a eu son lot de dictatures athées célébrant la mort de la culture autour d’autodafés nationaux-socialistes ou socialistes tout courts, judaïsme, christianisme et islam ont aussi de leur côté célébré «la haine de la raison et de l’intelligence, la haine de la liberté et la mort des livres au nom d’un seul».

© La Libre Belgique 2005 

Nicolas DE PAPEMis en ligne le 06/09/2005