A peine le temps d’une sonnerie, et une voix féminine décroche. « Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, bonjour. » La voix est grave, le ton sérieux. Le numéro demandé est celui mis en place par le ministère de l’intérieur à destination des personnes inquiètes de voir un proche se « radicaliser ». Le nombre d’appels vers ce numéro vert (0-800-005-696) a bondi depuis les attaques terroristes contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.

L’entretien commence par une série d’interrogations sur les motifs d’inquiétude :
« Quels changements de comportement avez-vous observés chez cette personne ? »,
« S’agit-il d’une personne de confession musulmane ? »,
« S’est-elle convertie récemment ou est-elle musulmane de naissance ? »,
« A-t-elle changé de discours sur la foi et la société ? »

Au bout du fil, une réserviste, retraitée de la police nationale. Huit personnes ont ainsi été mobilisées pour cette mission. Loïc Garnier, patron de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), réfute une approche sécuritaire du problème : « Ce sont des gens dégagés de leurs contraintes professionnelles, qui ont de vingt-cinq à trente ans d’expérience professionnelle et cinquante-cinq ans d’expérience de vie. […] Pour moi, ce ne sont pas des policiers. On les a choisis pour leur capacité d’écoute et leur sensibilité émotionnelle. »

{{LES « SIGNES DE RECONNAISSANCE » DE LA RADICALISATION}}

Avant de prendre le combiné, ces réservistes ont suivi un stage de sensibilisation de deux jours. Les formateurs sont des membres de l’Uclat et des universitaires spécialistes de l’islam et de ses dérives sectaires.

L’objectif de la formation – dispensée régulièrement pour former des policiers mais aussi des membres de services préfectoraux, de l’administration pénitentiaire ou d’associations – est d’expliquer la radicalisation et ses signes de reconnaissance, résumés ainsi par le patron de l’Uclat : « Ce sont les ruptures familiales, éducatives, comportementales, la consultation frénétique de sites extrémistes sur Internet ou encore la recherche d’argent pour partir. »
A partir de ces critères, l’équipe, réunie au ministère de l’intérieur, traite les appels, aidée par une psychologue, qui rappelle les familles en grande détresse. A leurs côtés, deux policiers en activité sont chargés de trier les appels et de valider les signalements, qui émanent en grande majorité de parents démunis devant un enfant excessif dans sa foi, et redoutant de le voir faire le djihad.

{{Affiches de la campagne contre le djihadisme lancée par le gouvernement en janvier 2015.}}

Depuis les attentats, et surtout depuis le lancement, le 28 janvier, de la campagne gouvernementale #stop-djihadisme – qui a mis en lumière ce numéro lancé en avril et jusque-là peu connu du grand public –, 15 ou 16 signalements pertinents sont recensés chaque jour, contre de 5 à 7 auparavant. En hausse aussi, les insultes, diatribes et canulars, qui représentent aujourd’hui 20 % des appels.

Il faut dire que cette campagne de communication, centrée autour d’une vidéo choc faite d’extraits de films djihadistes, a été critiquée et tournée en dérision sur les réseaux sociaux. Sont surtout visés les critères retenus pour identifier la radicalisation : changement de style vestimentaire, le fait de ne pas écouter de musique…
{{
QUAND LES MÈRES SE FONT TRAITER DE MÉCRÉANTES}}

Marc Hecker, chercheur à l’Institut français des relations internationales et spécialiste du terrorisme, balaie ces critiques : « Les personnes qui sont confrontées à ces situations savent très bien de quoi on parle. Il ne s’agit pas de parents qui s’inquiètent parce que leur ado adopte le look gothique mais de mères qui se font traiter de mécréantes – voire pire – par leurs enfants devenus salafistes. » « Il est évident que ce n’est pas parce qu’une personne présente ces signes qu’elle va forcément partir, rappelle-t-il, expliquant qu’« il s’agit d’un faisceau d’indices permettant d’alerter ».

Quand le signal est donné, le relais est pris à l’échelon local par les services préfectoraux. Le jeune et sa famille sont alors suivis par les services sociaux, éducatifs ou une cellule psychologique. Tout un travail de désendoctrinement et de resocialisation est à faire. Cela peut être long. Il est arrivé que des personnes soient empêchées de partir in extremis, retenues dans le hall d’un aéroport.

En novembre 2014, le ministère de l’intérieur estimait qu’en six mois de 70 à 80 départs pour la Syrie avaient été évités, soit 12 % des signalements reçus.

Par Marion Garreau
http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2015/02/12/un-numero-vert-contre-la-radicalisation-djihadiste_4574897_4497186.html