Piloté par les professeurs Sami Aoun, David Morin et Stéphane Leman-Langlois, de même que par l’analyste et blogueur Stéphane Berthomet, l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent (OSR) vise à « observer, documenter, comprendre et analyser les phénomènes de radicalisation et d’extrémisme violent au Québec et au Canada ».

« On sent un emballement, il est temps de mettre un peu d’analyse là-dedans. »— Stéphane Berthomet

Le professeur David Morin estime qu’on a assisté à des « glissements » au cours des derniers mois. En outre, des politiques publiques ont été adoptées sans que le problème réel ne soit encore défini.

« C’est comme si le médecin vous prescrit des antibiotiques sans qu’on sache quel est le bobo exactement. »— David Morin

« Tout ce qui a l’air radical devient radical violent, lance pour sa part le professeur Stéphane Leman-Langlois. Depuis 2001, on a ce problème-là, c’est clair, mais depuis le mois d’octobre, il y a eu un regain dans le nombre de signalements. Pas seulement des signalements du public, mais des signalements qui sont faits par des policiers eux-mêmes quand ils sont sur le terrain. »

Les services de renseignement croulent donc sous une masse d’informations de valeur inégale. « Cela devient pratiquement impossible à gérer. Trop d’information, c’est exactement comme pas assez, cela fait disparaître de l’information qui est utile », souligne M. Leman-Langlois.

« Déjà, de trouver un terroriste, c’est comme trouver une aiguille dans une botte de foin. Mais là, la botte de foin est de plus en plus grosse, mais il n’y a pas plus d’aiguilles qu’il y en avait avant. »— Stéphane Leman-Langlois

{{Informer et baliser}}

Donnant l’exemple du travail réalisé par le service de police de la Ville de New York après le 11 septembre, Stéphane Leman-Langlois estime que pour « faire le ménage » dans tous les signalements reçus, il faudra mettre des balises et établir des critères. « Ne nous envoie pas un signalement juste parce qu’un gars avec une barbe prend des photos du métro : ce n’est pas assez, il va falloir qu’il y ait d’autres choses », illustre-t-il.

S’intéressant plus précisément à la radicalisation « à caractère politico-religieux » et en particulier le « radicalisme islamique », l’OSR veut, en plus de contribuer au débat public, « proposer des pistes de solutions et d’actions en vue de lutter contre ces phénomènes ». L’Observatoire travaillera notamment en partenariat avec les divers corps de police et les services de renseignement.

« Il n’est pas question de se substituer à la police », précise David Morin, qui souhaite offrir une « profondeur d’analyse » tout en commençant à agir en parallèle.

« Nos partenaires s’attendent à une diffusion d’informations, explique le professeur Leman-Langlois. Que peut-on contribuer dans la réponse, la définition du problème? »

Des notes d’analyse et des documents seront publiés sur les réseaux sociaux et un site Internet qui sera mis en ligne au cours des prochains mois. L’OSR organisera aussi des conférences, des ateliers, des formations et des simulations.

« Ce qu’on veut faire, c’est un endroit centralisé, un one-stop shop où on pourrait avoir de l’information sur ce qu’est la radicalisation. Quand on modifie la définition, ça donne quoi comme résultat d’observation? Qui se radicalise? »— Stéphane Leman-Langlois

« Il faut faire comprendre la différence entre radical et criminel, entre radicalisme et terrorisme », souligne David Morin, rappelant que le radicalisme n’est pas seulement religieux, mais peut aussi être politique ou environnemental.
{{
Nuances nécessaires}}

Sans nier que la radicalisation existe dans nos sociétés, le professeur Leman-Langlois tempère l’impression actuelle voulant que, notamment, plus d’Occidentaux aillent combattre à l’étranger. Il rappelle qu’avant le groupe armé État islamique ou Al-Qaïda, des gens sont allés combattre notamment en Afghanistan, au Kosovo, en ex-Yougoslavie ou même en Irlande du Nord.

La différence? Des lois renforcées, des arrestations et la présence de militants radicaux sur les réseaux sociaux font en sorte de gonfler ces statistiques.

« De dire qu’aujourd’hui, il y en a X et qu’avant, il y en avait zéro, c’est parce qu’avant, on ne les comptait pas. »— M. Leman-Langlois

De même, le chercheur s’étonne du récent épisode qui a vu une administration municipale montréalaise interdire le projet de centre communautaire d’un imam dont les propos, notamment sur les femmes, les homosexuels et la démocratie, ont provoqué un tollé.

« C’est un discours complètement débile, pas question de l’appuyer. [Mais] il n’y a aucune radicalisation violente là-dedans, il n’a jamais dit un seul mot qui pourrait, même avec beaucoup de gymnastique intellectuelle, nous mener vers une violence », nuance le chercheur, rappelant qu’un discours semblable a existé et existe encore parfois au Québec.

« On est soudainement comme un bloc uniforme avec nos belles valeurs traditionnelles. Les femmes n’ont le droit de vote que depuis 1940, mais c’est comme si on avait inventé cela », lance M. Leman-Langlois, tout en précisant qu’il parle en son nom propre et non celui de l’OSR.

{{Les axes de recherche de l’OSR}}

· L’état du phénomène de radicalisation et de la violence extrémiste au Québec et au Canada

· Les causes de la radicalisation et les conditions du passage à l’action violente

· La géopolitique de la radicalisation et les enjeux des débats théologico-politiques sur le radicalisme islamiste

· Les réseaux et sources de financement des organisations radicales

· L’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux dans les phénomènes de radicalisation et leur couverture par les médias traditionnels

· Les politiques et les programmes de prévention et de lutte à la radicalisation, incluant les programmes de dé-radicalisation

{{Source : Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent}}

{{Éviter la récupération}}

Un projet de loi déposé l’an dernier par l’ex-députée Fatima Houda-Pepin, cité en exemple récemment dans les médias et la classe politique, proposait notamment de « confier au premier ministre le mandat de procéder à des recherches-actions » pour « identifier et documenter les manifestations d’intégrisme religieux » sur le terrain.

Le projet de loi, mort au feuilleton avec le déclenchement des dernières élections générales, aurait imposé la création d’un « centre de recherche-action » et la présentation d’un rapport annuel à l’Assemblée nationale.

Le nouvel Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent est toutefois une démarche indépendante, résultat d’une volonté de chercheurs universitaires de s’impliquer dans le débat public, souligne David Morin. Tout de même, des ministères constituent des partenaires possibles de l’Observatoire, pour discuter notamment de questions de sécurité publique.

« On veut vraiment éviter la récupération, donc on fait bien attention là-dessus », souligne pour sa part Stéphane Leman-Langlois, observant que l’étiquette « radical » sert à justifier toutes sortes de politiques.

« Les gens, quand ils ont peur et qu’on leur dit qu’on fait quelque chose, ils ne regardent pas de trop près pour voir si ce quelque chose là va être efficace ou si cela va leur coûter trop cher en argent ou en droits. »

source : http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/02/10/005-observatoire-radicalisation-extremisme-chercheurs-leman-langlois.shtml
Un texte de Marc-Antoine MénardCourriel