par Louis Cornellier

Journal L’Action (Québec), le 15 octobre 2008

« Quand les gens ne croient plus en Dieu, disait l’écrivain anglais Chesterton il y a presque cent ans, ce n’est pas qu’ils ne croient plus en rien, mais qu’ils croient à tout. » Beaucoup ont pensé, en effet, que le recul des croyances religieuses les plus primaires s’accompagnerait d’une progression de l’esprit critique et scientifique dans la population. Force est de constater, aujourd’hui, qu’il n’en est rien et que la crédulité la plus naïve fait des encore des ravages dans les esprits contemporains.

L’émission Enquête (Radio-Canada) du 2 octobre dernier a illustré ce triste phénomène avec éclat. Inquiets devant la popularité de plus en plus grande d’une approche thérapeutique fumeuse qui se nomme la « biologie totale », le journaliste Guy Gendron et ses collègues, armés de caméras cachées, ont consulté quelques-uns de ces pseudo-thérapeutes en se faisant passer pour des malades atteints de cancer. Et ce qu’ils ont découvert a de quoi faire peur.

Inventée, notamment, par Claude Sabbah, un ex-médecin français maintenant interdit de pratique, la biologie totale affirme que toutes les maladies, même les plus graves, ont des causes psychiques. Le cancer, par exemple, serait dû à un état de crise psychologique. Aussi, le traiter avec les armes de la médecine scientifique (ablation, radiothérapie, chimiothérapie) serait une erreur. Il faudrait plutôt, vont même jusqu’à dire certains de ces charlatans parfois formés en une seule semaine de cours, remercier notre cancer de nous faire prendre conscience que nous vivons une crise psychologique et travailler essentiellement sur notre mental afin d’en guérir.

Cette théorie, parfaitement délirante et carrément dangereuse lorsqu’elle incite des malades à renoncer à certains traitements médicaux, serait, semble-t-il, assez répandue au Québec et, peut-on présumer, probablement pratiquée dans la région de Lanaudière.

Si plusieurs auditeurs ont remercié l’équipe d’Enquête d’avoir dévoilé les dangers de cette pratique (voir le site de l’émission à www.radio-canada.ca), d’autres, dont au moins deux auditrices lanaudoises, l’ont accusée d’être malhonnête et de salir la réputation de cette thérapie, notamment vantée par la chanteuse Lara Fabian. Comment expliquer le succès, même relatif, d’une telle lubie sans fondements scientifiques?

Certains pointeront, et ils n’auront pas tort, le manque d’accessibilité aux vrais médecins et l’approche parfois trop froide et expéditive de quelques-uns de ces derniers. La cause principale de cette triste crédulité, toutefois, reste l’inculture scientifique qui règne au Québec et ailleurs dans le monde. Quand des athlètes olympiques ne sont pas gênés d’avouer qu’ils s’inspirent d’un ouvrage aussi farfelu que Le Secret, qui affirme que la seule force de notre pensée modifie le réel, quand des médiums prétendant faire parler les morts obtiennent des succès populaires, quand l’homéopathie passe pour une science, quand Le Journal de Montréal fait suivre la campagne électorale par des astrologues, une évidence s’impose : la culture scientifique est en panne et les charlatans de tout acabit ont beau jeu d’exploiter cette ignorance.

Pour renverser cette situation qui expose les personnes vulnérables à tous les dangers, l’école et les médias ont un rôle à jouer. La première doit revoir sa manière d’enseigner les sciences. Son approche actuelle, souvent abstraite et désincarnée, favorise sûrement le travail des neurones, mais elle ne dote pas les jeunes de l’esprit critique propre à la méthode scientifique qui permet de distinguer la connaissance de la croyance. Quant aux seconds, ils doivent se faire un devoir de pratiquer une vulgarisation scientifique éclairée et utile (médecine, psychologie, sociologie) et de démasquer, comme l’a fait l’équipe d’Enquête au risque de déplaire, les imposteurs.

La science n’a pas réponse à tout. Elle ne remplacera jamais les arts et une saine religion. Elle reste toutefois une indispensable lumière.

Louis Cornellier

louisco@sympatico.ca

http://www.laction.com/article-258977-Un-peu-de-science-svp.html