CLICANOO.COM | Publié le 25 février 2009

Lundi matin, les gendarmes de la brigade de recherches de Saint-Pierre ont appréhendé Louis Vitry, le chef de file de la “Sainte Famille”, un groupe de prière et de guérison du Tampon. Hier soir, le gourou de 55 ans a été mis en examen pour agressions sexuelles par personne ayant autorité sur la personne de huit adeptes, des femmes mais aussi des adolescentes.
Alors que les crimes de Juliano Verbard sont encore dans toutes les mémoires, une nouvelle affaire risque de provoquer un véritable séisme dans le petit monde des groupes de prière réunionnais.

{L’air rassurant de la piété}

Lundi matin, les gendarmes de la brigade de recherches de Saint-Pierre ont interpellé et placé en garde à vue le prêtre marron de la “Sainte Famille”, un groupe de prière et de guérison installé au 12e Kilomètre au Tampon. “Les gendarmes ont fouillé sa maison. Je ne sais pas pourquoi ils étaient là”, témoigne un voisin ayant préféré conserver l’anonymat. Louis Vitry, âgé de 55 ans, est entendu pour au moins huit agressions sexuelles par les enquêteurs. C’est en 1996 que “Monsieur Vitry”, comme aiment le nommer ses fidèles, commence ses séances de guérison et de prière dans le Sud de l’île. Son passé d’écorché vif derrière lui (lire par ailleurs), il rassemble des disciples de plus en plus nombreux à Saint-Louis, à Bras-Creux, à Bois-Court, à Trois-Mares et à Petite-Île. Au fil des ans, les dizaines de fidèles deviennent des centaines, ce qui n’est pas sans poser des problèmes avec le voisinage. Ils se déplacent un samedi ou un dimanche par mois pour se faire guérir par Monsieur Vitry. Lors de ces séances, le gourou, la cinquantaine, aux cheveux blancs, courts, parfois dissimulés sous un chapeau, porte de grosses lunettes sur le nez. Il possède l’air rassurant de la piété, avec son crucifix autour du cou et son chapelet à la main. Muni d’un mégaphone, il prêche des heures durant sa bonne parole. Pendant ce qu’il appelle la messe des malades, au calvaire de Petite-Île, les 200 adeptes s’adonnent à une mise en scène bien huilée. Impressionnante, même, pour des personnes fragiles et crédules.

{“Tu risques d’attraper un cancer”}

Lors de la procession jusqu’au monument, les malades, assis sur des sièges, sont portés par des proches. Les bras tendus vers eux, Louis Vitry use alors de son fameux pouvoir de guérison. Dans la foule massée autour de lui, la litanie du gourou provoque l’entrée en transe de certains fidèles. S’il possède un pouvoir, Louis Vitry a au moins celui de galvaniser ses disciples. Le faux prêtre possède une influence palpable sur ses adeptes, influence qu’il a façonnée année après année. Et c’est bien là tout le cœur du problème. Le prédicateur est craint et respecté. Selon les victimes, il aurait usé de son emprise pour agresser sexuellement des fidèles selon un odieux procédé. Dans le secret de séances de guérison en tête à tête, il menaçait des femmes et des adolescentes de représailles divines, ou, pire, de tomber malade, s’il ne leur touchait pas les parties génitales. “Si elles ne se laissaient pas faire, il disait aux jeunes femmes qu’elles risquaient d’attraper le cancer ou de s’attirer la colère de Dieu”, confie un proche d’une victime. En 2004, déjà, le groupe de prière de Monsieur Vitry avait défrayé la chronique. La rédaction du Journal de l’île avait d’ailleurs révélé ses pratiques plus que douteuses. Il était question de nuisances sonores, mais aussi de gourou, de secte, d’argent et d’attouchements…

{Le gourou nie les faits}

La rumeur qui enflait à l’époque s’avère finalement aujourd’hui bien en deçà de la réalité. Le gourou ne se retrouve pas accusé d’attouchements sexuels par une seule adepte. Il s’agit cette fois d’au moins huit plaintes pour agressions sexuelles. Au cours de son audition devant les enquêteurs, Louis Vitry se contente de nier. Il s’estime complètement étranger aux faits qui lui sont reprochés. Ce n’est pas du tout le sentiment du parquet du tribunal de Saint-Pierre. Hier en fin d’après-midi, à l’issue des 48 heures de garde à vue, le gourou a été présenté au juge d’instruction en charge du dossier et mis en examen pour agressions sexuelles par personne ayant autorité dont une sur mineure de 15 ans. A l’issue de son passage devant le juge des libertés et de la détention, il a été placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Saint-Pierre

Romuald Lenormand avec Éric Lainé

Des bouches de métro à la “Sainte Famille” La vie de Louis Vitry, c’est un peu la légende d’un homme que la foi a sauvé des limbes de la métropole. “En métropole, je croyais en rien. J’étais alcoolique. Je dormais dans des bouches de métro ou dans des cages d’escalier. J’étais cardiaque, diabétique et asthmatique. Là-bas, les médecins m’ont dit de rentrer mourir dans mon pays chaud”, racontait-il au Journal de l’île en 2004. De retour à la Réunion, Louis Vitry arrête de boire. Une sage décision, mais qui ne va pas sans contrepartie. “Je suis devenu un coureur de jupons. Si vous saviez comme ma femme et mes enfants ont souffert”, expliquait-il. Jusqu’au jour de sa rencontre avec Dieu, “le grand bonhomme, là-haut. La souffrance que j’ai ressentie était tellement forte que j’ai juré de travailler pour lui jusqu’à ma mort.” En 1996, Louis Vitry commence donc les séances de prière de la “Sainte Famille” dans le sud de l’île, à Saint-Louis, Bras-Creux, Bois-Court, Trois-Mares et Petite-Île. Au fil des ans, le nombre des adeptes s’est accru. Aujourd’hui, ils sont plusieurs centaines.

{Aucune reconnaissance de l’Église}

En 2004, l’évêque de la Réunion Monseigneur Gilbert Aubry réagissait aux problèmes relatifs au groupe de prière de Louis Vitry. Les catholiques sont encouragés à prier en famille et libres de prier en groupe à condition que la prière soit conforme à la loi et aux pratiques de l’Église. “Je ne donne aucun label de reconnaissance aux groupes qui ne font pas partie d’un mouvement ou d’un service déjà reconnus par l’Église et surtout pas aux groupes qui se donnent des missions de guérison. Ces phénomènes sont très complexes et demandent un discernement poussé pour pouvoir être cernés correctement. Le plus important n’est jamais une guérison, fût-elle miraculeuse ou inexpliquée, mais la paix intérieure et la conformité d’une vie avec le message d’amour de Jésus-Christ.” Le groupe de Louis Vitry n’a donc pas de reconnaissance de la part de l’Église et n’en a reçu aucune mission. À l’époque, dans l’ensemble du diocèse, les fidèles étaient invités à se diriger vers des groupes de prière déjà reconnus, soit dans leurs paroisses, soit dans un mouvement.

{Rassemblements et prières : des problèmes de voisinage}

Cinq ans auparavant, Louis Vitry faisait pour la première fois parler de lui pour des problèmes de voisinage. En cause : les séances de guérison et de prière qu’il organisait à son domicile. Au fil des ans, ses adeptes sont devenus des centaines. Le samedi ou le dimanche, les voisins subissaient par conséquent les litanies et les prières des fidèles pendant plusieurs heures. Les séances de prédication et de désenvoûtement se déroulaient à quelques mètres des habitations voisines. La situation s’était envenimée à tel point qu’un groupe de voisins avait signé une pétition. En mars 2004, les gendarmes s’étaient rendus sur place et avaient établi un rapport. Finalement, près de cinq ans après, les enquêteurs étaient lundi de retour chemin Pierre-Cadet. Pour des faits beaucoup plus graves que des nuisances sonores, cette fois.