Lyes Louffok, 24 ans, ancien enfant placé, brise « l’omerta » qui entoure la prise en charge des enfants par l’aide sociale.

« J’ai été placé à la naissance. Ma mère souffre d’une maladie mentale, elle n’a jamais pu s’occuper de moi. J’ai alterné séjours en foyer et séjours en famille d’accueil. Avec d’autres anciens enfants placés, nous avons décidé de témoigner à visage découvert des maltraitances que nous avons vécues afin de briser ce système pervers de non-dits. Mon but, c’est que cela profite aux générations futures. En France, il existe actuellement 300 000 mesures de placement. Nous sommes des millions à avoir ou à avoir eu recours à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Certains d’entre nous, et c’est mon cas, pendant dix-huit ans. Comment peut-on tolérer qu’un enfant soit placé pendant dix-huit ans ? Ça n’a pas de sens. Ma première famille d’accueil, avec qui j’étais très fusionnel, a déménagé dans le Sud quand j’avais 4 ans : l’ASE a refusé de maintenir mon placement chez elle pour ne pas m’éloigner de ma mère, alors que je n’avais aucun contact avec elle ! Vivre dix-huit ans en sachant qu’on peut partir d’une famille ou d’un foyer du jour au lendemain, ce n’est pas sécurisant et ça entraîne forcément des carences au niveau du capital social et culturel. Je n’ai pas d’ami d’enfance. Mon plus vieil ami ? J’avais 16 ans quand je l’ai rencontré. Il faut davantage de stabilité.

Ne pas contrôler, c’est nier la maltraitance institutionnelle qui est pourtant assez systémique.

Je suis un fervent militant de l’adoption simple. Il faut rompre avec cette idéologie pro-familialiste où la seule mission du travailleur social va être de reconstruire le lien parental. Avec l’adoption simple, les parents biologiques ne sont pas remplacés comme pour une adoption plénière. Elle donne simplement l’autorité parentale à d’autres personnes. Je ne dis pas qu’il faut faire adopter tous les enfants, mais il y a des situations pour lesquelles il faut arrêter de fantasmer le lien parental. Et il fautarrêter de penser que les structures dans lesquelles nous sommes placés, que ce soit les familles ou les foyers, n’ont pas besoin d’être contrôlées. Dans ces secteurs aussi, certaines personnes sont des agresseurs en puissance. Ne pas contrôler, c’est nier la maltraitance institutionnelle qui est pourtant assez systémique. Comme la protection de l’enfance est une mission du département, on trouve 101 politiques publiques différentes en France. En fonction du département dans lequel tu nais, tu sais si tu vas mieux t’en sortir que dans un autre. La protection de l’enfance doit être renationalisée et devenir une compétence régalienne de l’Etat.

Autre point sur lequel il est impératif que les choses changent : les jeunes majeurs. Quand on sait qu’une personne SDF sur quatre est un ancien enfant placé et que nous sommes surreprésentés chez les sans-abri de moins de 25 ans, on se dit que ce gâchis humain et économique doit cesser. La question qui se pose, c’est : « L’Etat est-il un bon parent ? » Jusqu’à présent, la réponse est « non » et je pense que c’est ça qu’il faut réformer en priorité. »

  • Lyes Louffok termine cette année des études d’éducateur spécialisé, réalisées en alternance dans une association de protection de l’enfance. A terme, il souhaite faire du lobbying politique et monter un grand syndicat de l’enfance. Il se lancera dans des études de droit l’année prochaine. Il est membre du Conseil national de la protection de l’enfance.

source : https://www.neonmag.fr/un-sdf-sur-4-est-un-ancien-enfant-place-ce-gachis-humain-doit-cesser-lyes-louffok-membre-du-conseil-national-de-la-protection-de-lenfance-535472.html

Article publié dans le magazine NEON en juin-juillet 2019