Le gouvernement a annoncé la semaine dernière le rattachement de la Miviludes au ministère de l’Intérieur. Pour les défenseurs du comité de lutte contre les dérives sectaires, cette annonce sonne comme le glas de la Miviludes. Une pétition de soutien est en ligne et une commission plurielle devrait se monter afin de solliciter rapidement un rendez-vous avec Édouard Philippe, dans l’espoir d’obtenir un arbitrage favorable.
500 000, c’est le nombre de personnes qui se trouveraient dans une situation d’emprise sectaire en France. Parmi elles, il y aurait 90 000 enfants.
« J’ai vécu dans la communauté de Jéhovah jusqu’à mes 22 ans. J’ai retrouvé ma liberté grâce à des associations d’aide aux victimes. Si la Miviludes n’avait pas existé, je serai certainement mort aujourd’hui.» C’est par ce témoignage aussi glaçant que fort de Nicolas Jacquette qu’a débuté la conférence de presse de soutien à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) jeudi 10 octobre, à l’Assemblée nationale. Depuis l’annonce, la semaine dernière, du rattachement de la Mission au ministère de l’Intérieur, la mobilisation des associations de victimes (Caffes, Unadfi, Caccec…), de professionnels de santé et de parlementaires engagés sur ces questions depuis des années ne faiblit pas. Tout comme leur colère face à une décision qu’ils jugent « incompréhensible ».
Radicalisation et lutte contre les dérives sectaires
Créée en 2002, la Miviludes a toujours été placée sous la tutelle de Matignon. « Un caractère interministériel qui répond à la nature plurielle des préjudices subis par les personnes victimes des organisations sectaires », détaille le professeur Philippe-Jean Parquet, psychiatre membre du conseil d’orientation de la Miviludes. « La Miviludes a aussi pour mission de recevoir des victimes. Le fait d’être rattaché à Matignon renvoyait à ces personnes une image de confiance », poursuit Georges Fenech, ex-député LR du Rhône et ancien président de la Miviludes (2008 à 2012).
Depuis quelques mois déjà, les signaux envoyés par le gouvernement quant au devenir de la ission étaient flous. Alors qu’Édouard Philippe se montrait systématiquement « rassurant » dans ses réponses écrites aux parlementaires, le fait que la Miviludes fonctionne depuis près d’un an sans président n’était pas rassurant. Finalement, la semaine dernière, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, a mis fin aux doutes en annonçant le rattachement de la mission au ministère de l’Intérieur. Pour le gouvernement, cette « fusion » au sein du Comité interministériel de prévention de la délinquance de la radicalisation (CIPDR) répond à une recommandation de la Cour des Comptes de 2017. Les Magistrats avaient en effet noté dans leur rapport que « son [la Miviludes] intervention récente dans la lutte contre les processus de radicalisation violente a considérablement modifié son rôle et ses responsabilités dans un domaine désormais fortement coordonné par le ministère de l’intérieur. »
Mais pour tous les acteurs qui travaillent avec la Miviludes au quotidien, résumer ses fonctions à la lutte contre la radicalisation est un véritable non-sens. « La radicalisation est un sujet à part entière et il ne recouvre pas le champ d’action de la Miviludes », insiste Georges Fenech. D’autant que les mouvements ne cessent de se multiplier et de se transformer, notamment sous l’impulsion des nouvelles technologies (réseaux sociaux, internet) qui jouent un rôle-clé dans les embrigadements. D’ailleurs, le nombre de signalements liés à des emprises a encore augmenté l’année passée pour atteindre 3000 (contre 2600 en 2017).
Si le gouvernement a promis de ne pas grignoter le budget de la Miviludes (500 000 euros par an), l’annonce du départ de 4 des 14 permanents de la mission, dans le cadre de la restructuration avec le CIPDR, a encore ravivé les craintes de voir la mission disparaître à moyen terme. « Nous perdons ici des professionnels qui avaient 20 ans d’expérience dans leurs domaines. À force de nous ‘fondre’ avec d’autres instances, il ne restera plus de la Miviludes qu’une flaque », se désole Catherine Picard, l’ancienne présidente de l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des famille et de l’individu victimes de sectes).
Le dernier clou du cercueil
Chez les parlementaires, on s’interroge désormais à haute voix. « Qui veut la mort de la Miviludes ? », tonne Jean-Pierre Brard, ancien député Divers Gauche de Seine-Saint-Denis et ancien membre du conseil d’orientation de la Miviludes. « Nous savons que nous dérangeons. Mais nous le redisons, chacun est libre de croire à ce qu’il veut, ce à quoi nous sommes vigilants ce sont les dérives », poursuit-il.
Hors de question donc de baisser les bras ont assuré les soutiens de la Miviludes. « Nous nous battrons jusqu’à ce que le dernier clou du cercueil soit planté », a ainsi imagé Georges Fenech, avec en ligne de mire le vote définitif du PLF 2020, en décembre.
Une pétition de soutien en ligne circule désormais sur les réseaux sociaux pour alerter les Français sur cette situation (3200 signatures à l’heure où nous écrivons ces lignes) et une délégation plurielle de parlementaires, tous partis politiques confondus, devrait rapidement être composée afin de solliciter un rendez-vous avec le Premier ministre. L’objectif est d’obtenir de Matignon un arbitrage favorable de dernière minute. « Édouard Philippe est un homme intègre et un homme de dialogue », assure Jean-Pierre Brard.
source :
Gazette des communes
le 11/10/2019 • Par Emilie Denètre