par Delphine GUERARD

Cette année 2008, le rapport au Premier ministre de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires aborde les dérives des psychothérapies à partir du phénomène des faux souvenirs. Grâce à de nombreux témoignages de familles reçues dans le cadre d’une consultation pour les victimes des sectes, nous avons observé l’induction de souvenirs comme technique de manipulation mentale au sein de certaines sectes. Ces souvenirs induits sont divers : viol, maltraitances, vies antérieures, inceste… Puis, nous avons constaté que certaines pratiques de thérapeutes qu’ils soient psychologues, psychiatres, psychothérapeutes ou autres pouvaient mener à la création de faux souvenirs. Le phénomène dépasse donc largement le problème des sectes.

Qu’est-ce que le phénomène des faux souvenirs?

Nous observons et étudions le phénomène en France depuis les années 2000. Nous avons rencontré une centaine de familles à ce jour. La plupart des situations présentent un prologue commun: soudainement, par courrier ou par téléphone, un père est accusé de viol par sa fille devenue adulte (le plus souvent il s’agit de femmes d’une trentaine d’années). Elle l’accuse d’inceste durant l’enfance car au cours d’une psychothérapie elle a «retrouvé» des souvenirs du traumatisme. Cette expérience est vécue sur le mode de la révélation car la patiente ne s’en souvenait absolument pas avant la thérapie.

Convaincues, et pour guérir, certaines vont jusqu’à déposer une plainte au commissariat. De leur côté, les familles disent être victimes de fausses allégations d’abus sexuels.
Grâce à notre travail de soutien auprès des familles, nous observons plusieurs cas de figures présentant cette thématique des faux souvenirs :
– Des groupes sectaires ont des techniques précises menant certains adeptes à la création de souvenirs d’inceste.
– Des professionnels diplômés exerçant avec une théorie et une pratique spécifiques induisent des souvenirs d’abus et de maltraitance.
– Certains s’autorisent à exercer en tant que psychothérapeutes et inventent leurs méthodes. Celles-ci se révèlent abusives dans leur pratique.
– Enfin, des personnes en souffrance construisent leur propre scénario d’inceste. Ces personnes, psychiatrisées ou non, présentent des troubles graves de la personnalité.

Le problème des fausses allégations d’abus sexuels est très connu des experts judiciaires dans le cadre des divorces. Sous l’influence de leur mère, des enfants sont amenés à faire de fausses allégations envers leur père afin que la mère puisse obtenir la garde exclusive de l’enfant. Paul Bensoussan, psychiatre et expert judiciaire, constate la multiplication des affaires d’abus sexuels «fantasmés» mettant en cause des parents.

Dans le cadre du phénomène des faux souvenirs, les fausses allégations d’abus sexuels proviennent de personnes adultes en psychothérapie. Nous faisons l’hypothèse que la personnalité et l’influence du thérapeute, ses théories et sa pratique suggèrent très fortement et participent activement à la création de souvenirs. Notre étude porte sur l’influence des psychothérapeutes et sur les techniques de suggestions de certaines méthodes. Il s’agit donc de décrire des pratiques consistant à induire des souvenirs, exercées dans des groupes sectaires ou par des thérapeutes exerçant en institution ou/et en libéral.

La question du transfert n’est pas abordée ici. Pourtant, cette question nous apparaît essentielle dans la compréhension de ce phénomène. Aussi, la question du contre-transfert est abordée trop succinctement.

Les thérapeutes

Les thérapeutes impliqués dans ces histoires de faux souvenirs sont en grande majorité des psychothérapeutes, ni psychologues, ni psychiatres, formés le plus souvent dans les plus brefs délais à de multiples techniques grâce à des instituts privés de formation. Quelques-uns sont psychiatres, d’autres psychologues.

Il est utile de rappeler en préambule que le métier de psychothérapeute n’est toujours pas légiféré. Ainsi chacun est libre de s’installer en libéral du jour au lendemain sans formation. L’exercice de la psychothérapie demeure totalement libre. De même, les méthodes et techniques psychothérapeutiques ne font l’objet d’aucun contrôle. Le marché de la thérapie est donc vaste. Il existe ainsi des méthodes reconnues, mais il existe aussi des méthodes farfelues et d’autres dangereuses, voire sectaires.

Du côté des psychiatres et des psychologues, il semble que ces thérapeutes travaillent avec le postulat de basesuivant : l’inceste est une «entité nosographique». L’équation «tel trauma telle séquelle» irait de soi et les amènent à poser d’emblée un diagnostic par rapport à une liste de symptômes présentés. Leur pratique encourage vivement leurs patients à confirmer un tel diagnostic. Cette nouvelle entité nosographique conduit à une sorte de fétichisation de l’abus sexueloù «les enfants de l’inceste» sont omniprésents. Une forme de militance exacerbée anime souvent ces thérapeutes qui finalement dirigent et embrigadent les patients. Leur position inquisitrice d’investigation a des effets pervers. Lorsqu’une personne sort d’une thérapie convaincue de la réalité de ses souvenirs, de ses dires et décide de prendre un avocat, on peut légitimement penser qu’il y a un débordement de la réalité narrative sur une réalité historique. Toute allégation d’abus sexuel n’est pas à prendre comme vérité. L’acharnement thérapeutique qui consiste à retrouver à tout prix les souvenirs grâce à des questions suggestives, à chercher de façon intrusive une parole qui ne vient pas et considérer la dénonciation comme un moyen pour enfin retrouver la paix est une pratique dangereuse. N’est-ce pas justement une forme de viol? Car la répression, l’oubli volontaire est un mécanisme de défense permettant de survivre psychiquement. Le faire sauter peut mener à de graves troubles psychologiques.

Méthodes et principes théoriques identifiés comme inducteurs de faux souvenirs

Nous distinguons plusieurs méthodesdites psychothérapeutiques :
– des méthodes manuelles de traitements énergétiques
– des méthodes intensives et systématiques qui solutionnent les problèmes psychologiques et les maladies,
– des méthodes empruntant diverses approches telles que, par exemple, la psychogénéalogie et le transgénérationnel,
– des méthodes psycho-spirituelles.

Toutes ces méthodes sont dites de «guérison». Elles reposent sur les postulats communs suivants:
· L’individu est considéré dans sa globalité: physique, émotionnelle, vibratoire, spirituelle et psychologique.
· La plupart des maladies physiques ou mentales ont pour origine des traumatismes vécus dans l’enfance. Ces traumatismes sont inscrits dans le corps.
· Pour guérir, il faut retrouver dans la mémoire les souvenirs du traumatisme et revivre ce qui a été occulté. Tout souvenir est un morceau de l’histoire réelle du patient. Le souvenir mémorisé est une image statique et immuable du réel.

L’objectif de ces thérapies est de guérir des traumatismes passés. Le travail thérapeutique consiste à «remonter dans le passé» en se focalisant sur les souvenirs et les rêves. Ceux-ci sont d’emblée interprétés par le thérapeute. L’interprétation n’est pas à mettre en doute, elle a un effet de vérité majeure.
Lors des séances, toutes sortes de techniques peuvent être utilisées pour conditionner le patient : Très schématiquement, ces techniques reposent sur l’idée qu’il existe une mémoire du corps : tout y est inscrit. Les symptômes sont considérés comme des signes d’un traumatisme subi dans l’enfance.
Les techniques permettent de décoder le langage du corps et ainsi de préciser le traumatisme. Pour retrouver ces souvenirs, il faut favoriser l’émergence de la mémoire du corps. Une détente profonde est donc provoquée: le thérapeute va avoir recours à des techniques psychocorporelles telles que massage, relaxation, imposition des mains, soins énergétiques, exercices respiratoires, divers procédés hypnotiques comme la transe hypnotique… Puis, il demande au patient de se concentrer sur des images mentales, des souvenirs ou des rêves. A partir des éléments apportés par le patient et grâce aux diverses suggestions du thérapeute, se construit le scénario incestueux. Le traumatisme de l’enfance est repéré, interprété et légitimé comme vérité historique par le thérapeute.
Des techniques apparentées à l’analyse transgénérationnelle ou à la psychogénéalogie complètent la démarche car : «Toute la généalogie est malade et condamnée à la répétition. Il faut donc rompre avec sa famille pour se libérer».

Les suggestions du thérapeute

Elles sont faites d’inductions sémantiques (pouvoir des mots, des phrases et des promesses, les allusions et évocations, l’orientation et la formulation des questions); d’influence non verbale (influence du toucher, du regard, du sourire) ; d’induction de désirs (le sujet dit ce que le thérapeute a envie d’entendre faisant fi de la réalité de l’expérience).

L’induction de souvenirs au cours de psychothérapies sectaires

Plusieurs éléments nous permettent de repérer les pratiques sectaires:

· {Force de persuasion, position de toute puissance et de tout pouvoir du thérapeute:}
Dans une démarche inquisitrice, le thérapeute recherche la vérité pour guérir. Il adopte une position interventionniste. En justicier, il explique et propose des solutions.
Il exerce une influence massive sur ses patients. Il prétend avoir le pouvoir de guérir, de transformer et de changer la vie du patient. Véritable missionnaire, il n’a plus aucune neutralité à l’égard de ses patients: il s’implique, dirige, encourage vivement et conseille activement.

{· Injonction systématique de rupture avec la famille comme dévoiement de la notion d’autonomie}

{· Embrigadement théorique}
Le thérapeute encourage activement le patient à rechercher dans ses souvenirs, dans son passé, les faits illustrant La Théorie. La Théorie n’est pas considérée comme un ensemble d’hypothèses à interroger, mais il s’agit d’un corpus sacré qui explique tout. Elle ne doit pas être remise en cause, critiquée, ni même questionnée. Elle est à accepter telle quelle et elle est à maîtriser parfaitement. Ainsi, le maître du savoir, le thérapeute guide et initie ses patients. Il pense à la place de l’autre, insiste, formule, interprète, projette, plaques ses idées et impose sa vision du monde. Grâce à ses injonctions, ses suggestions, ses conseils, ses explications et ses interprétations, il mène le «jeu» selon ses attentes et ses propres schémas de pensée. Pourtant, son corpus théorique est souvent limité et réducteur. Ses postulats ne sont pas vérifiables et sont arbitraires.

{· Atteinte à l’intégrité psychique des patients}
Dans l’urgence, avec insistance, sans précaution ni délicatesse, les interventions font intrusion dans la psyché. Avec insistance, il pénètre par effraction dans l’inconscient d’autrui à partir des rêves et des souvenirs. Les patients sont exposés pendant de longues périodes à des procédés de persuasion visant à augmenter leur implication dans leur croyance en la véracité de ces souvenirs. Dans la maîtrise et le contrôle, le thérapeute désingularise et instrumentalise ses patients en de véritables objets d’expérimentation. Ainsi, ils confirment tous La Théorie.

{· Instauration d’une relation d’emprise}
Sans aucune distance, ni neutralité, il est pris dans la vie de ses patients et s’y insère. Dans une sorte de fusion sans dégagement possible, il est à la recherche d’une non différenciation dans une position a-conflictuelle. Ainsi, il entraîne l’autre dans un processus destructeur de singularité où la relation d’emprise permet l’acte cannibalique: le sujet transformé en objet se retrouve dans une dépendance aliénante.

L’induction de souvenirs au cours de psychothérapies non sectaires
Lorsqu’il ne s’agit pas de pratiques sectaires, plusieurs éléments permettent d’éclairer le phénomène d’induction de faux souvenirs d’inceste au cours de certaines psychothérapies. En voici quelques-uns :

· La vulgarisation du discours psychanalytique: certains s’approprient et décomplexifient des concepts empruntés à la psychanalyse et s’emparent de «preuves freudiennes» (dessins, rêves) pour conforter leur intuition. En pensant d’une façon naïve et simpliste qu’il suffit de «retrouver ce qui a été occulté pour guérir », la psychanalyse est réduite ici à la levée du refoulement.

· Le phénomène d’identifications: pris par sa propre activité psychique, le thérapeute n’a plus de neutralité à l’égard du patient. Il s’implique, prend parti, encourage et conseille. Il interprète selon ses attentes, ses désirs, ses fantasmes. Dans un fonctionnement en miroir, il n’y a pas d’analyse du transfert, ni du contre-transfert.

· De la fascination à la fétichisation des abus sexuels: obnubilé par la maltraitance, le thérapeute voit des abus sexuels partout. Tout symptôme est immédiatement associé à de la maltraitance. «Angoissé à l’idée de passer à côté», dans une sorte d’acharnement investigateur, le thérapeute va activement intervenir pour rechercher, vérifier l’existence ou non d’abus sexuels. Au nom de l’enfance maltraitée, il crée des enfants maltraités.

· Le manque de formation: beaucoup s’autoproclament avec un diplôme en poche, ou sans diplôme d’ailleurs, et pratiquent la psychothérapie grâce à quelques lectures, à leur intuition et à une certaine créativité. Seulement, l’exercice de la psychothérapie est très complexe et ne s’improvise pas. Il s’agit d’un processus qui implique profondément à la fois la personnalité du patient ainsi que la personnalité du thérapeute. Une formation spécifique est nécessaire: elle devrait être soutenue et continue.

{{Conclusion}}

Au-delà de la question sectaire, le phénomène des faux souvenirs a le mérite de poser un certain nombre de questions complexes autour des psychothérapies, de leur définition, de leur validation, de leur pratique, de leur contrôle, de la formation des praticiens, de leur éthique et de leur responsabilité.
Comment peut-on engager un patient dans un processus psychothérapeutique alors que le psychothérapeute n’a pas de formation suffisante? Comment le thérapeute protège-t-il le patient de ses propres désirs et fantasmesà l’œuvre dans toute prise en charge psychothérapeutique ? Se posent aussi la question de la transmission d’une méthode psychothérapeutique.
Enfin, concernant notre responsabilité de psychologue, n’est-il pas de notre devoir de protéger le public en lui donnant les moyens de repérer des professionnels compétents?

Delphine GUERARD est psychologue-psychanalyste. Sa conférence a été donnée lors de la table ronde du 4 juillet 2008 organisée par la Fédération française des Psychologues et de Psychologie lors des Troisièmes Entretiens de la Psychologie qui se sont tenus à Paris (Université Paris-Descartes).
Animée par Christian BALLOUARD, psychologue, la table ronde réunissait également Philippe GROSBOIS, chargé de mission Psychothérapie à la FFPP, membre de la Commission Psychothérapie de la Fédération Européenne des Associations de Psychologues (EFPA), Guy ROUQUET, Président de «Psychothérapie vigilance», Danièle MULLER-TULLI, Présidente de l’Association Suisse pour la Défense de la Famille et de l’Individu (ASDFI), Vice-Présidente de la Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’Information sur le Sectarisme (FECRIS), Déléguée au Conseil de l’Europe et Françoise CHAMPION, Sociologue au Centre de recherche «Psychotropes, santé mentale et société» (CESAMES), Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS).

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