Dans le quartier de Mehrabadi, les Masih sont une famille parmi d’autres. Comme la plupart des chrétiens, le père, Misrak, est balayeur. “Il payait son loyer tous les mois. Je n’ai jamais eu de problème. Ici, on s’entend bien avec les chrétiens”, explique Malik Amjad, son propriétaire de confession musulmane. Mais, depuis quatre jours, le climat a changé dans ce quartier pauvre d’Islamabad. La porte des Masih est fermée. Ils ont fui. Comme tous les chrétiens du quartier.

Tout commence jeudi dernier. Rimsha Masih, la fille cadette de 11 ans, jette un paquet de feuilles brûlées sur le terrain vague en face de la mosquée. “Mon neveu Hammad lui a demandé ce qu’elle venait jeter”, raconte Malik Amjad. Rimsha ne répond pas. Intrigué, Hammad jette un œil sur le papier en cendres. Des pages du Coran !

Au Pakistan, la loi du blasphème condamne à mort celui qui manque de respect au livre saint. Hammad fonce dans la mosquée prévenir les fidèles réunis pour la prière du soir. Choqué, le groupe se dirige vers la maison de la famille Masih.

La mère s’excuse. Explique que sa fille ne savait pas qu’elle jetait des pages du Coran. “Les enfants ne vont pas à l’école et ils ne savent pas lire”, détaille Malik Amjad. Et personne n’a vu la fillette enflammer le Coran.

L’affaire aurait pu en rester là. C’était sans compter le zèle de quelques-uns. “Le soir des faits, j’ai entendu un appel depuis les haut-parleurs de la mosquée. Celui qui parlait exhortait les musulmans à relever la tête et à protester”, témoigne un des rares chrétiens restés sur place. 600 à 1 000 manifestants bloquent l’avenue principale, qui mène au centre de la capitale. La communauté chrétienne craint des représailles.

Depuis, Paul Bhatti, le ministre catholique des Minorités, tente de calmer la situation : “Je suis en contact avec la police et les mollahs. Rimsha Masih est trisomique et elle n’a que 11 ans. Elle n’est pas responsable.”

Le président de la République, Asif Ali Zardari, est monté au créneau.

Dimanche, il a demandé au ministère de l’Intérieur de diligenter une enquête et promis que la loi du blasphème ne serait pas détournée. La législation sert souvent de prétexte à des règlements de compte.

Le geste présidentiel surprend Sohail Johnson, membre de la Commission de défense des droits de l’homme, une ONG pakistanaise réputée. “Depuis 5 ans, les attaques contre les chrétiens se multiplient. Mais les autorités ne font rien. L’ancien ministre chrétien des Minorités, Shahbaz Bhatti, a été assassiné par les talibans en mars 2011. Les meurtriers courent toujours”, peste ce chrétien qui ajoute : “Zardari essaye de protéger la crédibilité de son gouvernement alors que les minorités commencent à fuir le pays.”

Le 10 août, 250 hindous ont fui en Inde pour échapper à leur lot quotidien : conversions forcées, enlèvements, extorsions Embarrassé, le ministère de l’Intérieur les a bloqués à la frontière pendant 7 heures, espérant les retenir. En vain.

La violence n’épargne pas non plus les chiites, qui représentent 20 % de la population et sont victimes de meurtres en série. Le 16 août, les talibans interceptent un autocar entre Islamabad et Gilgit, dans le nord du pays. Ils contrôlent l’identité des passagers, séparent les chiites, les alignent et les exécutent. 20 morts. Les attaques anti- chiites ont pris de l’ampleur depuis la libération de Malik Ishaq le 11 juillet 2011. Ce terroriste est le fondateur du Lashkar-e-Jhangvi, un groupe extrémiste qui attaque les minorités depuis 16 ans. “Sa libération a été interprétée comme un blanc-seing de la justice pakistanaise aux mouvements sectaires” , déplore un diplomate occidental.

source :
http://www.lalibre.be/actu/international/article/756087/

par Emmanuel Derville