Près de dix ans après les faits, c’est un procès hors norme qui s’ouvre ce lundi au tribunal correctionnel de Paris. Une entreprise du CAC 40, France Télécom (Orange aujourd’hui), son ancien PDG Didier Lombard, et six dirigeants sont jugés pour harcèlement moral à grande échelle. Ils vont devoir répondre de leur gestion et de ses conséquences sur le climat social au sein du groupe. Le procès va durer deux mois. Il doit permettre de faire toute la lumière sur la vague de suicides qui a eu lieu dans l’entreprise entre 2006 et 2009. La procédure judiciaire a finalement retenu le cas de 39 salariés, dont 19 qui se sont donnés la mort, 12 qui ont tenté d’attenter à leur vie, et 12 victimes de dépression ou d’arrêt de travail. Les anciens dirigeants encourent chacun 15.000 euros d’amende et un an de prison. France Télécom, de son côté, encourt 75.000 euros d’amende.
Le procès est exceptionnel, car c’est la première fois qu’une entreprise de la taille de France Télécom et ses anciennes principales têtes de pont devront répondre de leur politique. C’est en particulier leur exécution du plan NEXT qui est dans le collimateur de la justice. Entre 2006 et 2008, celui-ci visait à restructurer largement le groupe en supprimant quelques 22.000 postes sur les 120.000 que comptait l’entreprise. Et ce, dans un contexte où France Télécom était lourdement endetté et confronté à de féroces rivaux après l’ouverture à la concurrence du secteur. Pour les syndicats, qui ont fait office de lanceurs d’alerte dans cette affaire, ce plan a débouché sur le climat social délétère qui a poussé des salariés à mettre fin à leur vie.
Les syndicats dénoncent un « système de harcèlement »
C’est ce qu’a affirmé, le mois dernier, Patrick Ackermann, responsable chez Sud :
« On a assisté à la mise en place d’un système de harcèlement institutionnel, dit-il. Elle est partie du plus haut niveau de la hiérarchie de l’entreprise et s’est déclinée jusqu’en bas, auprès des cadres de premier niveau, avec des violences qui ont débouché sur des situations terribles, dont des suicides. »
Concrètement, l’ancienne direction de France Télécom est mise en cause pour avoir mené, pendant l’exécution de NEXT, « une politique visant à déstabiliser les salariés » et les faire partir, via des mesures d’isolements, de mises au placard, des missions aux objectifs impossibles à tenir, ou des changements de poste. Didier Lombard avait affirmé dans une formule choc sa détermination à aller au bout du plan de départs. « Je les ferai […] d’une façon ou d’une autre par la fenêtre ou par la porte », avait-il déclaré, selon un compte-rendu d’une réunion de cadres en date du 20 octobre 2006 et publié dans Le Parisien.
« Quel est le prix d’un être humain au travail ? »
Dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal, les juges soulignent qu’il n’est pas reproché aux ex-dirigeants « leurs choix stratégiques de transformation de l’entreprise, mais la manière dont la conduite de cette restructuration a été faite ». Aux dires d’une source de la défense à l’AFP, l’entreprise, pour sa part, « ne nie pas la souffrance des salariés, mais conteste avoir mis en place une politique destinée à déstabiliser ses équipes ».
Le procès ne sera pas seulement très suivi en raison de l’émoi qu’avait suscité la vague de suicides chez France Télécom dans les années 2000, mais aussi parce que cette affaire est devenue emblématique des problèmes de stress et de souffrance au travail. C’est « le procès du siècle », affirme ainsi à l’AFP Marie Pezé, docteur en psychologie et spécialisée dans la souffrance au travail. Laquelle s’interroge : « En 2019, face aux suicides des agriculteurs, des policiers, des soignants (…), quel est le prix d’un être humain au travail ? »
source : La Tribune
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