le 07 octobre 2012

{{Gourous inc.: une rare poursuite}}

Anéantie par le suivi d’un sexologue l’ayant conduite au bord du suicide, une Montréalaise évalue ses pertes à 40 000$. Fait exceptionnel au Québec, elle a décidé de le poursuivre. Ariane Duplessis a même accepté d’être nommée dans le journal, pour que les autres victimes se sentent moins seules.

L’avocate qu’elle a consultée a trouvé une seule autre poursuite civile contre un thérapeute toxique. Pourtant, les éclopés sont légion. Ariane a lancé le blogue «psyabuseur» en février 2011 et a vite recueilli les histoires d’horreur de 47 femmes. Certaines se rencontrent désormais au sein d’un groupe de soutien similaire aux Alcooliques anonymes, Thérapie Vigilance. «On se sent comme un enfant battu enlevé à ses parents. On vit un manque parce qu’on a tellement fait confiance», explique la femme de 35 ans.

«Pourtant, j’allais chercher de l’aide, et il m’a volé un morceau de vie, dit-elle. Pendant deux ans, mes enfants n’ont pas eu de mère.»

Ariane a eu la chance de se remettre de son choc post-traumatique. Ses nouvelles alliées souffrent encore. Troubles paniques, agoraphobie, anorexie, hyperacuité auditive… «La plupart restent inaptes au travail, résume Ariane, parce qu’elles sont terrorisées à l’idée de retourner en thérapie, même avec quelqu’un de compétent, qui pourrait les aider.»

En 2010, la jeune femme a porté plainte à l’Association des sexologues, laquelle a répondu qu’elle «ne détient pas les droits disciplinaires légaux qu’exigerait l’action de recevoir» ces doléances.

Récemment, une microbiologiste a préféré porter plainte pour agression sexuelle et abus de pouvoir. Son kinésithérapeute-guérisseur-d’âme lui avait massé les seins et les parties génitales, sous prétexte qu’elle devait symboliquement tomber amoureuse de son père. «La procureure lui a dit qu’elle ne pouvait rien faire, car elle avait été consentante», se désole Mme Duplessis, qui l’accompagnait.

Depuis quatre mois, la loi interdit d’offrir de psychothérapie sans répondre à des exigences précises et sans obtenir un permis auprès de l’Ordre des psychologues. L’organisme a déjà été alerté à l’égard de 60 psychothérapeutes «illégaux». Premier défi : trouver les ressources pour mener les enquêtes qui s’imposent. Car Québec n’a pas accordé de budget spécial à l’Ordre. Il doit puiser à même les cotisations de ses membres et les revenus générés par la délivrance des nouveaux permis.

Deuxième défi : surveiller les maîtres de l’épanouissement personnel, qui se défendent de jouer aux psychothérapeutes. Une étude publiée dans le Journal of Psychotherapy Practice and Research dénonce pourtant les périls de thérapies de groupe dans leur genre. Lorsqu’on ne protège pas les participants les uns des autres ou qu’on exerce des pressions, on fait plus de mal que de bien, constatent les chercheurs. « Ça prend plus d’encadrement, conclut Me Dominique Gervais, d’Option consommateurs. On ne peut plus traiter ça comme des cours de danse en ligne.»

http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201210/07/01-4581030-gourous-inc-une-rare-poursuite.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_meme_auteur_4581025_article_POS4

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07 octobre 2012

{{Gourous inc: une planche de salut}}
Marie-Claude Malboeuf
La Presse

Même en arrêt de travail, l’agenda de Nathalie débordait : lectures de tarot, stages de méditation extrême, thérapies de groupe. Rien ne l’a vraiment guérie. Ses maigres revenus ont été engloutis. Mais elle est convaincue que ses démarches lui ont permis de survivre.

«Les listes d’attente sont longues en psychiatrie, souligne-t-elle. À l’époque, je n’étais pas suivie, pas médicamentée, j’étais en train de couler… J’avais besoin de l’amour du groupe. Sans ces gens, je ne serais peut-être plus ici.»

Aujourd’hui, Nathalie (dont nous avons changé le prénom) a remplacé l’épanouissement personnel et la méditation par le spinning et les antidépresseurs. Mais elle ne renie pas son passé pour autant. «Ça m’a aidée à ne pas tomber dans le piège de la consommation, du tourbillon de la vie», explique la Montréalaise de 43 ans.

Lorsqu’ils se basent sur des théories connues et validées, les maîtres de l’épanouissement personnel peuvent offrir des conseils utiles, confirme Diane Casoni, professeure de criminologie à l’Université de Montréal.

Les gens en crise cherchent un sens à leurs souffrances et la spiritualité peut les apaiser, constate par ailleurs la Dre Joahnne Cyr, du programme des troubles anxieux et de l’humeur de l’hôpital Louis-H. Lafontaine.

«Certaines personnes croient sincèrement qu’elles ont un don, ajoute la psychiatre. Si elles se soucient de l’autre, si elles peuvent reconnaître leurs limites, elles peuvent faire autant de bien qu’un psychologue. Même dans l’univers médical, on trouve des gens qui se comportent en gourous et refusent de se remettre en question.»

Le problème, c’est qu’il est impossible de superviser les électrons libres qui n’appartiennent à aucun ordre professionnel, et ne sont donc pas soumis à des inspections ni à un conseil de discipline.

http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201210/07/01-4581033-gourous-inc-une-planche-de-salut.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_meme_auteur_4581025_article_POS2

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07 octobre 2012
{{
Gourous inc.: démolis, puis abandonnés}}
Marie-Claude Malboeuf
La Presse

Quand Valérie, ravissante avocate, a annoncé à sa mère s’être enrôlée dans les «guerrières de lumière», cette dernière ne s’est pas trop inquiétée.

«Ses chandelles laissaient des cernes brûlés partout, raconte la retraitée. Son appartement était plein de livres Nouvel Âge. Mais fonceuse comme elle était, je pensais que c’était une béquille, qu’elle traversait juste une phase.»

À 30 ans, Valérie était épuisée. Elle venait de quitter son copain et refusait de goûter aux antidépresseurs.

À la place, la jeune Montréalaise a suivi une copine à Saint-Sauveur, chez les mystérieux «guerriers». Leur chef aux cheveux platine a enseigné le travail social pendant 20 ans au cégep du Vieux Montréal. Mais depuis 1998, Marie-Louise Lamothe prétend être médium et canaliser un archange qui doit l’aider à sauver la planète – l’aboutissement de nombreuses thérapies qu’elle écrit avoir entreprises pour «se libérer de blessures affectives profondes».

Lorsqu’elle initie ses adeptes au coût de 120$, elle leur demande de ne pas porter de noir pour ne pas bloquer les vibrations. Son but: intensifier le lien de ses fidèles avec le «rayon bleu» et parler au nom «de notre merveilleuse terre Gaïa».

Accro au plein air, Valérie s’est sûrement laissé séduire par de beaux discours sur la nature, imagine sa mère. Le reste la dépasse: «Ils lui ont dit qu’elle avait des dons de médium…»

Valérie y croit et glisse lentement dans la psychose. Elle pense communiquer avec son chat et «ramasser les déchets énergétiques des autres».

Des amis de Beloeil lui proposent d’enlever les mauvaises entités de sa maison. «Ils ont mis du gros sel au bord des fenêtres…», ironise son père.

Ce saupoudrage absurde illustre bien l’inutilité – et le danger – des bricoleurs de l’âme. Après quelques années, les guerriers ont abandonné Valérie, disent ses parents. Sans emploi, sans conjoint et sans espoir, l’ex-avocate a fini par se pendre, quelques semaines avant d’avoir 40 ans.

Son ancien groupe, lui, n’est pas mort. Ils sont désormais 60 membres, répartis dans cinq régions, et leur chef professe son désir de créer des «légions» partout dans le monde.

Dans un courriel envoyé à ses parents, six mois avant de mourir, Valérie dit avoir été trahie par son groupe, qu’elle qualifie de «secte». Elle regrette amèrement la femme qu’elle était jadis, se décrivant alors comme «propre, disciplinée, forte, très indépendante, positive, un brin sexy, amoureuse et heureuse»…

En entrevue, Marie-Louise Lamothe se défend d’exercer une emprise sur les gens, ou encore, d’avoir favorisé la mort de son ancienne admiratrice. Elle dit l’avoir invitée à consulter – sans succès – et l’avoir dirigée vers de nombreux guérisseurs. Ils étaient, dit-elle, «incapables de la libérer de ses entités parce qu’on ne peut forcer quelqu’un à aller vers la lumière».

À l’hôpital psychiatrique

Comme Valérie, des centaines de Québécois en proie au mal de vivre se fient chaque année à une amie, à une voisine ou à une petite annonce vantant les mérites d’une philosophie miracle. Et comme Valérie, plusieurs s’enfoncent.

Un Montréalais est resté hospitalisé en psychiatrie plusieurs semaines. Il avait disjoncté en suivant des ateliers d’épanouissement personnel beaucoup trop intenses, qu’un groupe l’avait amené suivre en Floride. «Quand c’est arrivé, ils l’ont remis dans un avion et ils l’ont renvoyé à Montréal. Tout seul et en crise. C’est cet abandon qui l’a le plus démoli», raconte la Dre Johanne Cyr, du programme des troubles anxieux et de l’humeur de l’hôpital Louis-H. Lafontaine.

La psychiatre n’a pas vu beaucoup d’autres cas du genre. Mais lorsqu’on fait le tour des établissements, le bilan s’alourdit. À l’autre bout de la ville, Ariane Duplessis a abouti à l’hôpital psychiatrique Douglas, anéantie par un psychothérapeute malsain, qui pleurait devant elle pour ne pas la laisser partir. Et ne l’aidait pas.

«J’avais des obsessions morbides, se souvient-elle. Je l’ai même appelé parce que je voulais laisser mon bébé geler dans la voiture. Il n’a jamais rappelé, ni avisé la police.»

Irina (dont nous avons changé le nom) a aussi abouti aux urgences. Tout a commencé lorsque le tout nouveau «guérisseur» de son mari a exigé de la voir, sous prétexte que le mal l’habitait. La jeune mère est aussitôt séduite. Éclairage tamisé, chandelle, encens… L’homme est parfumé et bien mis.

Dès leur deuxième rencontre, il lui réclame… 2300$. Ensorcelée, Irina talonne son mari pour qu’il accepte. Mais à chaque visite, le gourou teste un peu plus son pouvoir. Il lui demande d’abord d’uriner devant lui, puis de se dévêtir et de se caresser devant une rangée d’anges. Il finit par avoir des relations sexuelles avec elle.

C’est le choc. «La première chose que j’ai faite après, c’est de prendre mon bain et de me frotter tout le corps avec une brosse», raconte Irina.

Lors d’une séance de magasinage en famille, elle fait une crise de panique. Elle a des nausées, cesse de dormir, de manger et de travailler. Lorsque la Montréalaise trouve le courage d’affronter son agresseur, il la traite de folle possédée du démon. À chaque appel, il raccroche.

Encore aujourd’hui, Irina prend des antidépresseurs et se bat avec des flash-back. Incapable de tout avouer à ses enfants, elle refuse d’appeler la police. Sa seule consolation : dernièrement, la petite annonce du guérisseur semble avoir disparu. Sa première consultation était gratuite.

Culpabilisants

Au Centre perspectives, dans la couronne nord, la psychoéducatrice Natacha Condo-Dinucci doit souvent réparer les dégâts. «À entendre les gourous, ce n’est jamais leur méthode qui ne marche pas: c’est toujours toi qui ne l’as pas comprise», dénonce-t-elle.

Au départ, les faux espoirs entraînent la sécrétion d’endorphines. «Ça atténue la dépression, explique Mme Condo-Dinucci. Mais ça ne dure pas, et quand les gens s’en rendent compte, ils tombent encore plus bas.»

Les cyniques diront qu’on ne peut protéger les gens contre leur propre crédulité. «Mais ce n’est pas une question d’intelligence! s’indigne Mme Condo-Dinucci. Quand on est en détresse, notre cerveau ne fonctionne plus pareil. Ça crée des distorsions qui nous transforment en proie facile.»

Guérir à s’en rendre malade

Le compositeur et parolier Jean Robitaille en sait quelque chose. Abonné au succès (il a écrit 400 chansons, dont certaines pour Ginette Reno, et composé la musique de 18 films), il a vu tout basculé un mauvais jour, lorsqu’il s’est réveillé pétri d’angoisse. C’était le début d’une quête spirituelle rocambolesque, racontée en détail dans un livre, Guérir à s’en rendre malade.

«À l’époque, j’étais certain d’être en avance sur le reste de la planète», ironise-t-il.

Le musicien a écouté des 33 tours avec de supposés messages cryptés. Téléphoné au service des miracles d’un preacher américain (plus gros serait le chèque, plus vite allait survenir la guérison). Gobé des pastilles de charbon qui lui noircissaient les dents. Essayé le psycho-massage. Consulté un astrologue. Rencontré un conférencier disant avoir voyagé jusqu’au centre de la Terre.

Il a tenté de guérir avec des vibrations et des couleurs. S’est fait marcher dessus pour ouvrir ses chakras. A pris des bains d’eau glacée. Enduré des saunas étouffants. A lavé sept fois tout ce qu’il mangeait. Été hypnotisé par un homme se disant capable de le faire régresser dans des vies antérieures. Payé 100$ pour s’asseoir dans la salle d’attente d’un Polonais recommandé par son courtier d’assurances et censé le guérir sans même le voir.

Il a même acheté des granules à l’homéopathe Luc Jouret, puis a déménagé à l’ombre de son château des Laurentides, peu avant que son nouveau voisin n’orchestre les meurtres et suicides de l’Ordre du temple solaire.

À travers tout ça, tout aussi déboussolé qu’il puisse être, il a lui-même décroché un diplôme de thérapeute et traité une quinzaine de patients par semaine!

«Quand tu es désespéré, il y a toujours quelqu’un pour te dire d’essayer quelque chose d’autre», explique M. Robitaille. Et ça continue aujourd’hui, chaque fois que l’auteur présente son livre en conférence. «À la fin, des gens m’approchent avec un numéro de téléphone en me disant que j’aurais dû essayer telle autre affaire magique! Ils ne comprennent pas mon message: allez donc vers les voies normales!»

Avant d’échouer aux urgences de l’hôpital Louis-H. Lafontaine – au bord du suicide, du divorce et de la faillite -, Jean Robitaille a lui-même entraîné des tas de gens dans son sillage. «La crédulité est contagieuse, conclut-il. Trop de gens ont besoin de se geler avec des choses qu’ils croient moins nocives que les drogues.»

***

Encore Fréchette

Malgré la mort d’une jeune mère de famille dans une maison de Durham-Sud et malgré l’arrestation de Gabrielle Fréchette, ses émules continuent d’accueillir des clients.

En écoutant l’iPod de sa fille de 19 ans, un Français a récemment trouvé 40 minutes de transe de Fréchette, «qui lui conseillait de couper les liens biologiques et lui prédisait un avenir dans la médiumnité et l’art», dit-il. L’accusée s’y exprime de la même façon glaciale que lors de l’exercice ayant causé la mort de Chantale Lavigne.

Entraînée par son copain et sa belle-mère, l’ex-étudiante française rentre tout juste du Québec, et a admis y avoir rencontré Fréchette et ses alliés. Elle affirme aussi que la fin aura lieu le 21 décembre et qu’il y aura alors des suicides, de la lumière, et que les deux tiers de la population seront éliminés.

En attendant, les émules français de Fréchette offrent leurs propres «guidances thérapeutiques» en Aquitaine, dans le sud-ouest de la France.

http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201210/07/01-4581025-gourous-inc-demolis-puis-abandonnes.php

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07 octobre 2012

{{Gourous inc.: de vrais psys vraiment ésotériques}}
Marie-Claude Malboeuf
La Presse

La Montréalaise Paule Mongeau n’est pas une psychologue comme les autres. Sur son blogue, il lui arrive de parler de vies antérieures.

Le 3 février, elle a écrit avoir amené une cliente, Martine, à remonter dans le temps jusqu’à ce qu’elle se voie entourée de parents d’une autre vie. En septembre 2011, elle parle d’une autre patiente, Claudia, transportée en Égypte ancienne. Dans la même entrée, elle raconte que sa massothérapeute a refusé d’hospitaliser son fils de 5 ans en psychiatrie, tel qu’on le lui recommandait à l’hôpital Saint- Justine. PourMme Mongeau, l’enfant n’a pas d’hallucinations et il s’agit d’un «phénomène [] normal chez certains enfants: la reconnaissance d’images d’autres vies dans leur imaginaire».

Nous avons interrogé l’Ordre des psychologues à ce sujet et tous ces passages ont ensuite subitement disparu. Mme Mongeau a refusé de nous dire si le syndic l’avait exigé. Elle déclare ne pas exposer ses clients à ses croyances, ne pas faire de thérapie par les vies antérieures, mais employer à l’occasion une simple technique d’imagerie qui permet d’entrer dans la peau de personnages d’«autres vies».

Il y a moins d’un an, elle a pourtant publié une annonce invitant les gens à venir «écrire une nouvelle à partir d’une imagerie de vie antérieure».

Difficile, dans les circonstances, de savoir ce que fait la psychologue dans l’intimité de son bureau. «Les gens nous interrogent régulièrement au sujet de membres de leur ordre professionnel, qui veulent les guérir avec de l’encens ou leur donner des massages énergétiques », rapporte la directrice du Centre d’information sur les nouvelles religions de l’Université de Montréal, Marie-Ève Garand.

D’autres professionnels de la santé mentale prétendent guérir avec les chakras, la lumière, les vibrations du corps ou encore, des tapotements.

Alors qu’elle était toujours membre de l’Ordre des psychologues, Danielle Fecteau a même publié un livre disant qu’on pouvait guérir les maladies des autres par notre pensée autrement dit, qu’on pouvait influencer le corps d’autrui en se concentrant. Elle y parle aussi de télépathie et de guérison à distance.

Indigné, un chercheur de l’Université de Montréal, Serge Larivée, a dénoncé ce livre dans la Revue de psychoéducation, en soulignant qu’il pourrait amener des gens à se détourner des méthodes éprouvées. Il faut savoir que le code de déontologie des psychologues leur impose de se baser «sur des principes scientifiques généralement reconnus en psychologie».

Mme Fecteau n’a pas rappelé à la suite de nos messages. Une de ses connaissances nous a dit qu’elle n’était plus psychologue et voulait tourner la page.

Une épidémie

D’après la psychoéducatrice Natacha Condo-Dinucci, les idées du genre se répandent comme une épidémie, même dans le milieu de la santé mentale. «À Montréal, une intervenante m’a confié que son CLSC avait invité des charlatans pour apprendre au personnel à communiquer avec les anges, raconte-telle. Et c’est payé avec nos taxes!»

Lors d’une rencontre au sujet d’une préadolescente psychotique, elle a elle-même entendu une collègue dire à la mère: «Vous savez, ça existe, des enfants médiums.»

«Certains évoluent après leurs études, mais on ne peut être dans chaque bureau pour vérifier ce qui se passe», dit Marie-Ève Garand.

Le chercheur Serge Larivée voudrait qu’on soit plus sévère avec les déviants. «Quand les ordres professionnels les laissent démissionner en douce, au lieu de les sanctionner publiquement, ils protègent leurs membres, pas le public», dit-il.

Le conseil de discipline de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux nous a déclaré n’avoir jamais «eu à se prononcer sur des pratiques questionnables au plan scientifique ». Il a reçu quelques demandes d’enquête, mais a conclu que les techniques en cause se situaient «à la limite de l’acceptable». Malgré nos demandes répétées, on n’a pas voulu nous préciser la nature de ces approches «limites».

L’Ordre des psychologues est plus transparent. Depuis 10 ans, une demi-douzaine de ses membres (sur 6000) ont été sanctionnés pour dérives ésotériques.

Claudette Nantel, de Hull, a proclamé, à la radio, qu’elle faisait régresser ses patients dans leurs vies antérieures. Le comité de discipline lui a reproché de discréditer l’ensemble de sa profession. Cela ne l’a pas empêchée de récidiver, quelques années plus tard, en reparlant de vies passées, de télépathie et de chamanisme à une patiente.

Autre cas : avant de renoncer à son titre, le Montréalais Yvan Grenier mêlait déjà ésotérisme, astrologie, magnétisme et chamanisme pour donner des «traitements énergétiques». D’après le syndic, il passait deux fois plus de temps à «lire le corps» de ses clients qu’à les écouter. Lors de ses visites à domicile, ces derniers devaient porter un simple peignoir et se mettre ensuite en sous-vêtements, y compris une femme ayant déjà subi des sévices sexuels.

Depuis, il donne des conférences, enseigne et affiche sa formation de psychologue. En entrevue, il nous a dit qu’exiger la pratique scientifique de la psychothérapie n’avait aucun sens puisqu’«on est de toute façon dans le subjectif», qu’on s’offusque trop de la «semi-nudité» et que sa méthode est reconnue ailleurs dans le monde.

Sur le Plateau Mont-Royal, l’expsychologue François Lesage parlait lui aussi des astres et s’endormait dans les bras de ses patientes en pleine séance. Pire encore, il a eu des relations sexuelles avec trois d’entre elles un problème qualifié de chronique chez lui, alors qu’il se spécialisait auprès des victimes de stress post-traumatique et d’agression sexuelle.

Choqué par son «incapacité d’introspection » et par son «manque important de jugement professionnel », le comité de discipline l’a radié à vie en juillet 2009.

Peine perdue. François (devenu François-Gilles) Lesage a ouvert un «centre de thérapie» qu’il annonce sur l’internet. Il propose des séances d’hypnose, vante ses 30 ans d’expérience comme psychologue et son «savoir intuitif».

Depuis le printemps dernier, l’Ordre des psychologues a le pouvoir de poursuivre les imposteurs du genre pour exercice illégal de la psychothérapie.

Lorsque nous l ‘avons mis au courant de notre enquête, François-Gilles Lesage nous a dit qu’il s’informerait et cesserait sa pratique au besoin. Quelques semaines plus tard, son site internet était toujours actif.

http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201210/07/01-4581029-gourous-inc-de-vrais-psys-vraiment-esoteriques.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_meme_auteur_4581033_article_POS5

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07 octobre 2012

{{Gourous inc.: profil des accros}}
Marie-Claude Malboeuf
La Presse

Fasciné par le culte des gourous, le cinéaste new-yorkais Vikram Gandhi a fait le pari fou de s’inventer un personnage, une théorie, un jargon, et de partir à la recherche de fidèles au fin fond de l’Arizona. Diffusé cet automne, son documentaire parfois loufoque, Kumaré, met en lumière l’immense soif de spiritualité de ses semblables. Et lui permet d’arriver à différents constats:

> Même une fausse religion peut apaiser les gens;

> À force de parler à ses fidèles d’une lumière bleue, totalement inventée, il a lui-même fini par la voir.

> Ses disciples ont bel et bien été transformés à son contact. Pour Vikram Gandhi, c’est parce qu’il leur a servi de miroir au lieu de leur servir une recette (comme en imposent au contraire la plupart des gourous modernes). Son ultime enseignement: ce que les gens cherchaient se trouvait déjà à l’intérieur d’eux-mêmes. Autrement dit, ils avaient déjà le désir et le pouvoir de réaliser leur rêve.

Et ce n’était pas leur seul point commun. Tous se posaient des questions fondamentales, étaient marqués par des souffrances profondes et avaient finalement un immense besoin de se sentir compris, de «connecter» avec quelqu’un.

Voici d’autres facteurs pouvant rendre accro à l’épanouissement personnel:

1. La quête de sens

Sans religion, les gens n’ont plus de réponses toutes faites, alors ils en cherchent ailleurs. «On est programmés pour croire. Penser que notre vie est parsemée d’accidents dépourvus de sens semble insupportable», affirme le chercheur en psychoéducation Serge Larivée.

2. La dépendance

«Les personnes dépendantes ont besoin de certitudes. Elles veulent se remettre entre les mains de quelqu’un qui démontre une assurance totale. Cela atténue leur angoisse, mais les expose aux abus, car elles mettent leur sens critique en veilleuse», expose la psychiatre Johanne Cyr.

3. La solitude

À Montréal, 40% des logements sont occupés par des gens seuls, souligne la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Rose-Marie Charest. Or, ceux qui souffrent de solitude cherchent un réseau.

4. La facilité

Les gourous de l’âme promettent de changer la vie des gens rapidement – un pari séduisant. «Les gens en dépression nous demandent de les hypnotiser, de les pousser plus fort pour aller plus vite, alors qu’il faut y aller prudemment», rapporte le professeur de psychologie Conrad Leconte, retraité de l’Université de Montréal.

5. L’orgueil

On suggère aux participants qu’ils vont faire partie d’une élite, qu’ils ont «compris» quelque chose. «Croire qu’on est exceptionnel provoque une grande satisfaction narcissique. On devient trop accro à ce sentiment pour écouter ses doutes», expose la psychologue Diane Casoni, qui enseigne la criminologie à l’UdeM.

6. L’obsession du bonheur

Auteur de Guérir à s’en rendre malade, Jean Robitaille lisait des caisses de livres, par crainte de «passer à côté d’un grand secret», dit-il. Il a enfin compris qu’il n’y en avait pas: «On rêve au jour où, à force de travailler sur soi, on va atteindre la béatitude. Mais la sérénité, c’est d’être capable de vivre heureux avec ses problèmes non résolus.»

7. Les ratés du système

«Être barouetté par le système de santé, ne pas être pris au sérieux par des médecins qui n’ont pas posé le bon diagnostic ou qui vont trop vite et nous donnent une petite pilule, ça crée une immense détresse, dit Jean Robitaille. On cherche donc ailleurs.»

http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201210/07/01-4581028-gourous-inc-profil-des-accros.php

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07 octobre 2012

{{Gourous inc.: le chaman cambrioleur}}
Marie-Claude Malboeuf
La Presse

Tomber amoureuse d’un chaman est une entreprise risquée. L’hiver dernier, des femmes vivant à Montréal, Ottawa ou dans les Laurentides ont brutalement compris qu’elles avaient fait partie d’une sorte de harem. Toutes bernées par les yeux bleus et les cheveux longs d’un faux guide spirituel.

Loin de s’entredéchirer, elles se sont liguées pour faire enquête. Et ce qu’elles ont découvert les a sidérées. Stéphane Raynault, leur supposé chaman, a séjourné six mois en prison; il s’est mis des autochtones à dos, en empochant de l’argent qui ne lui était pas destiné. Pire encore, avant de se faire payer pour «purifier » des maisons, il en a cambriolé. Et a même incendié la sienne, pour toucher l’argent des assurances.

En marge, il multipliait les conquêtes, puis vivait à leurs crochets, sous prétexte que sa quête spirituelle ne lui laissait aucun répit. «Il a déjà déjeuné chez une fille, dîné chez une deuxième et soupé chez une troisième!», résume Ariane, qui a connu l’homme dans un cours de neurocoaching, où il était superviseur, et nous a demandé de changer son prénom. La Montréalaise de 38 ans a découvert la triple vie de son ancien amoureux en retraçant ses appels. «Partout où j’appelais, des femmes répondaient, se souvient-elle. J’ai fini par faire changer les serrures.Je me sentais violée dans mon âme et mes rêves.»

Quelques mois plus tard, Émilie tombe dans le panneau à son tour. Lors d’une soirée à Mont-Tremblant, une amie lui présente l’homme de 45 ans comme un grand sage. «Mon coeur battait super fort, comme si j’avais pris de la drogue, raconte l’écrivaine de 30 ans. Il me regardait droit dans les yeux en répétant : Les gens ne te comprennent pas, moi, je sais qui tu es. Baisse tes barrières.»

Après trois rencontres, Raynault proclame qu’elle est la femme de sa vie et qu’ils offriront des soins énergétiques ensemble. En parallèle, il enseigne la sexualité tantrique à d’autres femmes et dévisage les beautés. «Quand je protestais, raconte Émilie, il disait les regarder pour libérer les entités autour d’elles!»

Un jour, Raynault lui annonce qu’il se trouve à l’aéroport. Il part vivre en Europe avec une autre. Il veut y relancer sa carrière de chaman.

Une ancienne cliente n’en revient toujours pas. «Il est disparu du jour au lendemain en laissant son adolescente chez moi et ses objets supposément sacrés dans mon cabanon», dit la résidante des Laurentides.

Le faux chaman prétenait s’en servir pour chasse les mauvais esprits des demeures. Pour peaufiner son personnage, l’homme s’est apparemment rapproché d’une communauté d’Ottawa, a observé ses rituels et mémorisé ses histoires.

D’après l’un de ses leaders, en 2011, Raynault a amené une quinzaine de Montréalais dans une tente de sudation, en leur faisant croire que la communauté s’attendait à recevoir un don de 150$ par personne, et a empoché le tout.

Lorsque La Presse l’a mis face à ces faits, Raynault a tout nié, jusqu’au fait qu’il a oeuvré comme chaman, alors qu’on l’associe à cette pratique sur le moteur de recherche Yatedo. Un profil Facebook le présente plutôt comme un «coach à Great Spirit».

L’homme se dit victime d’une «campagne de salissage» de la part d’amoureuses déçues.

Ce qui est certain, c’est qu’on l’a condamné sept fois pour vol, en Montérégie et dans Lanaudière. La demeure qu’il a incendiée en 1992 se trouvait dans cette dernière région.

Ironiquement, Raynault semble avoir été initié à la spiritualité amérindienne par les bénévoles qui ont voulu l’aider alors qu’il se trouvait en prison.

Sur YouTube, un diaporama (Le faux prophète) et un blogue (Le cercle des déesses) mettent toute la francophonie en garde. Car Raynault, qui est rentré à Montréal, a du charisme. «La première fois que je l’ai vu dans mon cours, je me sentais envahie, se souvient Ariane. Mais quand il nous parle, sa force, c’est de créer un lien immédiat. C’est un caméléon et un radar ; il lit les gens.»

Une version plus détaillée de cet article se trouve sur lapresse.ca/chaman

http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201210/07/01-4581026-gourous-inc-le-chaman-cambrioleur.php