Face à l’hypnose, l’esprit cartésien sent passer le souffle de la défiance. Ce scepticisme ne date pas d’hier : l’hypnose, « un travail de manœuvre, n’ayant rien de scientifique, rappelant plutôt la magie, l’exorcisme, la prestidigitation », dénonçait Freud dans son Introduction à la psychanalyse en 1917. Mais que dit la science ? Les techniques d’exploration du cerveau montrent-elles une action spécifique de cette pratique, en lien avec un résultat thérapeutique ?

La réponse est en demi-teinte. « Au CHU de Liège (Belgique), le neurologue Steven Laureys est le premier à avoir montré, en 2000, que sous hypnose les aires cérébrales communiquent différemment entre elles », indique le docteur Bruno Suarez, enseignant du diplôme universitaire d’hypnose clinique (Paris-XI). « Le réseau des aires cérébrales qui interviennent dans la conscience de soi est notablement activé sous hypnose. En revanche, le réseau impliqué dans la perception de l’environnement est inhibé. C’est ce que révèle l’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle », précise le professeur Laureys. Pour autant, « différents schémas d’aires cérébrales vont s’activer sous hypnose, selon l’imagerie mentale du patient et les métaphores proposées par le thérapeute », nuance le docteur Suarez. Surtout, il reste difficile de faire le lien entre ces états d’activations cérébrales et l’amélioration clinique du patient.

« UNE RÉALITÉ PHYSIOLOGIQUE »

« Nos premières études sur le sujet ont été très difficiles à publier. Le sujet n’était pas pris au sérieux, admet Steven Laureys. Aujourd’hui, ces travaux donnent lieu à des articles reconnus. Pour moi, l’hypnose est une réalité physiologique. Mais beaucoup reste à faire. » « Nous en sommes aux prémices, renchérit le docteur Catherine Bouchara, responsable d’une consultation d’hypnose médicale au pavillon de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Nous sommes tributaires des techniques d’imagerie et de leurs limites. La plus grande est l’impossibilité de bouger pour le patient soumis à l’IRM cérébrale… »

L’hypnose souffre d’abord d’une absence de définition consensuelle. Mais aussi, selon Steven Laureys, d’« un manque de standardisation des techniques » qui empêche la validation, par d’autres, des résultats obtenus. L’hypnose est, certes, un « état modifié de la conscience ». Pour le reste, à chacun sa définition – ou presque. Selon Jean Godin, fondateur de l’Institut Milton Erickson de Paris, l’hypnose est « “débranchement de la réaction d’orientation à la réalité extérieure”, qui suppose un certain “lâcher prise” » et « fait apparaître (…) des possibilités supplémentaires d’action de l’esprit sur le corps, ou de travail psychologique à un niveau inconscient ».

DES ÉTATS HYPNOTIQUES NATURELS

Pour le docteur Bouchara, « l’hypnose permet d’accompagner le sujet pour l’aider à trouver son propre chemin. C’est un mode d’alliance, cela n’a rien de mystérieux ». On peut être dans un état hypnotique naturellement, sans le savoir : « Par exemple, lorsque vous conduisez en pensant à autre chose. Vous arrivez à un endroit en vous disant : “Je suis déjà là !” et en ayant oublié par où vous êtes passé… » L’hypnose est donc aussi « un état dissociatif ».

« Cet état de conscience modifiée va donner lieu à une perception altérée du milieu extérieur qui s’accompagne d’une imagerie mentale plus vive », estime Steven Laureys. Ses études d’imagerie cérébrale tendent à conforter cette notion. « En utilisant la tomographie par émission de positons, nous avons montré que l’état hypnotique diffère de la simple distraction. De son côté, l’électroencéphalogramme indique que le patient sous hypnose n’est pas endormi. » Car l’hypnose se définit aussi par ce qu’elle n’est pas. « Le sujet sous hypnose a l’air de dormir, de rêver ou de méditer. Mais les enregistrements de son activité cérébrale montrent que l’hypnose ne correspond à aucun de ces trois états », synthétise Bruno Suarez.

L’équipe du professeur Laureys a comparé la perception d’un stimulus douloureux chez des patients sous hypnose ou dans un état de distraction. « Pour un même stimulus, la douleur perçue est bien plus faible sous hypnose, comparée à l’état de distraction. Dans le même temps, l’IRM fonctionnelle montre que le réseau de la douleur s’active de façon différente. Un “chef d’orchestre de la douleur”, le cortex cingulaire antérieur, est plus actif sous hypnose. »

DEUX GRANDS RÉSEAUX DE CONSCIENCE

Surtout, l’imagerie met en évidence deux grands réseaux dont la connectivité est modifiée sous hypnose. « Le réseau de la conscience du monde extérieur voit sa connectivité diminuée. A l’inverse, le réseau de la conscience de soi, cette “petite voix qui nous parle”, est plus actif sous hypnose. C’est sans doute pourquoi l’imagerie mentale du patient est vécue comme très réelle. Ce réseau mobilise des zones plus internes et médianes du cerveau », indique Steven Laureys, qui a publié ce travail en 2011 dans Progress in Brain Research. D’où, peut-être, cette observation ancienne relevée par Bruno Suarez : « A la fin du XIXe siècle, le neurologue russe Vladimir Bekhterev notait que les patients sous hypnose ont des réflexes pupillaires modifiés. Or la motricité de la pupille reflète le fonctionnement du cerveau. »

Reste que le travail clinique montre qu’il est illusoire de songer à unifier cette pratique. « Pour un clinicien, l’hypnose est un apprentissage de souplesse et d’adaptation à chaque patient, favorisé par le passage contrôlé du praticien en état d’hypnose, note Catherine Bouchara. Le patient peut choisir le niveau de profondeur de l’hypnose avec lequel il va réaliser le changement auquel il aspire. »

« Ce que j’attendrais d’un travail de recherche, conclut-elle, c’est une analyse simultanée des cerveaux des deux protagonistes : le sujet sous hypnose et le thérapeute. Cela pour comparer les zones activées et mettre en évidence le mode singulier de la relation hypnotique. »

source : LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 20.01.2014 à 16h23 | par Florence Rosier
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/01/20/une-modification-subtile-de-la-connectivite-cerebrale_4351226_1650684.html