« On n’a pas interpellé le démon, et le démon n’a tué personne ». L’anecdote est rapportée par les gendarmes de Limoux, appelés un soir de pleine lune. Le sang glacé par des hurlements – « comme ceux poussés par une victime qu’on égorge » -, les voisins de l’église évangélique de la Délivrance croyaient à un crime atroce, s’empressant d’alerter la maréchaussée… alors que les vociférations étaient le fait d’une Réunionnaise qui remerciait le Seigneur de l’avoir délivrée du mal.

« Satan peut aller jusqu’à posséder une personne, prendre la maîtrise de son corps et de son esprit. D’ailleurs, que nous enseigne l’Évangile ? Que le Christ a passé une partie de son temps à chasser les démons » décrypte Guy Touchard, le nouvel exorciste du diocèse d’Evreux.

« Dans la tête des chrétiens »

Le regard clair et le sourire complice, le père Touchard procède aux antipodes du prêtre Karras, invité à se pencher au chevet de la jeune Regan.
Dans “L’Exorciste”, l’adolescente démoniaque crache un étrange vomi, lévite au-dessus du lit et pivote la tête à 360 degrés. Rien de tel dans nos campagnes, à en croire Guy Touchard.

« Avec ce genre de film, on recherche le spectacle et la poussée d’adrénaline. Bien sûr, c’est franchement exagéré. À ce jour, je n’ai jamais été confronté à des situations aussi spectaculaires. Moi, j’essaie de trouver ce qui se passe dans la tête des chrétiens qui pensent être habités par le démon » Un rôle de psychanalyste ? « Plutôt de confident ».

Pourtant, l’éternel combat entre le Bien et le Mal peut relever du psy (psychiatre, psychologue, psychanalyste) et emprunter des chemins détournés. Avec une frontière ténue entre mal-être et… mauvaise foi comme le révélait, dans La Dépêche du 19 mars 2003, l’un des prédécesseurs de Guy Touchard : « La plupart des gens sont honnêtes. Mais certains souhaitent qu’on les libère à peu de frais »…

« Je ne suis pas un marabout »

À force d’arpenter le bocage et les plateaux normands, notre exorciste s’est forgé une solide philosophie.
« En règle générale, j’interviens en dernier recours après le médecin, le marabout et les diseuses de bonne aventure » regrette le père Touchard qui, depuis sa nomination, a rencontré une quarantaine de personnes : des femmes seules, des couples, des ruraux, des urbains, des actifs, des chômeurs. Mais tous unis par une seule et unique “préoccupation” : « Ils sont embarqués dans des histoires qu’ils ne maîtrisent plus. D’où une situation de blocage intérieur, avec le vide qui se crée autour d’eux. Le sentiment d’échec s’étend à tous les domaines de leur vie, qu’elle soit affective ou professionnelle ».

Mais ceux qui l’appellent à la rescousse ne sont pas nécessairement habités par la foi. Ils préfèrent l’exercice des “tables tournantes” à celui de la prière. « Dans ces cas-là, la tâche est plus délicate. Les non-croyants doivent admettre que je ne suis pas un marabout, mais un guérisseur d’âmes ».
Quant aux chrétiens, Guy Touchard les invite sur le chemin du confessionnal ou de l’église, le temps d’un Notre-Père ou d’une messe. « Mais le processus de réconciliation avec le Bien, donc avec le Seigneur, est un travail de longue haleine. Quand vous vous égarez en forêt, il est parfois difficile de retrouver sa voie et de refaire le chemin inverse »…

Le démon travaille en catimini

Au premier rang de la lutte entre le Bien et le Mal, notre exorciste voit dans sa fonction un intérêt pastoral.
« Je contacte des gens parfois éloignés de l’Église. Mais ils se sentent écoutés, car je les prends au sérieux ». Pourtant, certaines situations pourraient prêter à “sourire”.

Dans nos campagnes et nos villes, c’est bien connu, le démon travaille en catimini. Ou utilise des intermédiaires. « Effectivement, il y a des personnes qui croient aux poupées piquées par des aiguilles. Sous-entendu : c’est une voisine jalouse qui leur a jeté un sort ».
D’autres fois, Guy Touchard est sollicité pour… bénir une maison. Et ainsi chasser le Diable qui se niche dans les détails. « Je reçois, pour l’essentiel, au centre diocésain. Mais quand je me déplace, je me fais rembourser les frais de route. Sinon, le service est gratuit bien qu’à chaque fois, on me demande : combien on vous doit ? »

Par contre, il accepte volontiers un don ou des chocolats, en guise de remerciement (gratitude ?) pour une mission qu’il estime bien éloignée du sacerdoce. « Exorciste, ce n’est pas un poste que les prêtres recherchent. La tâche est un peu rude, car on pénètre un domaine surnaturel. Un domaine où il faut avancer avec précaution, le temps de poser le bon diagnostic »…

Source : La Dépêche, vendredi 24 janvier 2014

par A. Guillard