Les marches défoncées mènent à un parvis désert où une bâche de plastique flotte dans le vent en guise de rideau d’entrée. L’imposante église Xia Ling semble abandonnée par ses ouailles, au cœur de la tourmente de Wenzhou, important port situé sur la cote sud-est de la Chine. En réalité, cette communauté protestante est entrée en résistance et son église devenue un camp retranché défiant le Parti communiste, au centre de la «Jérusalem chinoise». A l’arrière de l’édifice, la communauté de 400 fidèles se serre les coudes, les regards inquiets. «Ils s’attaquent aux croix, mais en réalité ils veulent détruire le christianisme» explique un leader de la communauté, qui préfère garder la protection de l’anonymat.

Le lieu n’est plus un refuge sûr. Dans la nuit du 26 août, un commando d’hommes en civil escalade le mur arrière peu avant minuit. Dans la pénombre, ils atteignent le quatrième étage pour cueillir dans son lit, l’avocat Zhang Kai, champion de la défense des églises. Il est embarqué sous les ordres d’un homme coiffé d’une casquette de police, révèlent les caméras de surveillance. «Depuis, nous n’avons aucune nouvelle», explique au Temps, le gardien de la communauté, qui n’a rien entendu ce soir-là. Même le père de Zhang est venu jusqu’à Wenzhou pour mendier une entrevue avec son fils. En vain. L’avocat trublion est coffré dans un lieu secret et soupçonné d’avoir «troublé l’ordre public» et «divulgué des secrets d’état», selon un document du bureau de Sécurité publique de la capitale du Zhejiang.

{{Tortures à coups de décharges électriques}}

Des méthodes expéditives réservées aux cibles prioritaires du régime, à l’image du nominé au prix Nobel de la paix Gao Zhisheng. Cet avocat chrétien vient de raconter ses tortures à coups de décharges électriques au visage subis pendant une incarcération de trois ans dans une prison de Xinjiang. Il avait lui aussi «disparu» en 2009, embarqué par les services suite à ses activités de défense des églises et de la secte Falun Gong.

Maître Zhang risque le même sort, pour s’être dressé contre la campagne de destruction de croix et d’église menée par les autorités provinciales depuis 2013, et l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping. Le juriste basé à Pékin faisait régulièrement la navette jusqu’à Wenzhou pour défendre devant les tribunaux les communautés de ce port prospère comptant 300 000 catholiques et plus d’un million de protestants. Ici, en décembre dernier plus de 1000 d’entre eux se sont rassemblés devant l’église Xia Ling, pour empêcher une grue de décapiter l’édifice de sa croix. Le rassemblement tourne à l’échauffourée. Zhang ose attaquer en justice la campagne orchestrée par le secrétaire du Parti de la province, Xia Baolong, un lieutenant fidèle de Xi. S’en est trop. «Le tribunal nous a dit que nous n’avions pas droit à un avocat», explique, un paroissien. L’entêtement de Zhang lui a coûté la liberté.

Et il n’est pas un cas isolé. Au moins 19 chrétiens ont été arrêtés discrètement depuis le mois d’août, selon les témoignages recueillis sur place par Le Temps. Comme ce missionnaire de 32 ans, Zhang Zhi, père d’un nourrisson, et cueilli au petit matin chez lui, le 7 septembre dernier. Son crime? Trois jours plus tôt, il avait osé rétablir une croix au sommet du clocher élancé de son église, voisine de sa maison, dans le village de Xian Qiao, à quarante minutes du centre-ville de Wenzhou. Depuis, sa femme est sans nouvelle et n’a pas le droit de parler aux «étrangers». Tout comme le prêtre Huang Yizi, «disparu» lui aussi en août. «Jusqu’ici, ils nous arrêtaient quelques heures. C’est la première fois que nous faisons face à des détentions aussi longues», s’inquiète un paroissien de Wuxi.

{{Campagne anti-chrétienne sans précédent}}

Cette vague d’arrestations marque une escalade dans la campagne anti-chrétienne la plus féroce que connaît la Chine depuis la révolution culturelle. Elle fait suite à la résistance inattendue des communautés aux destructions de croix, jugées trop ostentatoire, par le secrétaire Xia, et qui a déjà détruit la plus grande église de Wenzhou. Ces constructions suscitent «l’inconfort» des non-croyants affirme le «Global Times», quotidien contrôlé par le Parti.

Derrière cette campagne «d’urbanisme» en faveur d’un «plus beau Zhejiang», se camoufle une reprise en main idéologique décrétée par Xi Jinping à l’encontre des «forces occidentales hostiles qui infiltrent constamment la sphère idéologique» selon un document interne distribué aux haut cadres en 2013. En mai dernier, le nouveau timonier a appelé à «activement incorporer les religions dans le cadre de la société socialiste». Car le dynamisme du christianisme dans cette province riche et ouverte sur le monde, labourée par les missionnaires dès le milieu du XIXe siècle échappe à sa mainmise idéologique. Ici, de nombreux fonctionnaires font partie des communautés, richement dotées par les fidèles. «Le pouvoir a peur, il nous soupçonne d’être liés à des agents étrangers et de vouloir faire chuter les communismes. C’est ridicule! Nous sommes de simples citoyens, mais nous avons besoin de la croix pour vivre notre foi», explique Lin, paroissien à la cathédrale de Fuyin Jang, elle aussi assiégée.

source :
http://www.letemps.ch/monde/2015/10/16/vague-disparitions-chretiens-chine

Par Sebastien Falletti, Wenzhou