Mélite Jasmin est rejugée en appel à partir d’aujourd’hui. Elle avait été condamnée en première instance à trois ans de prison ferme. Les biens immobiliers de la famille avaient été saisis, dont une maison de quinze pièces en Guadeloupe.

La grande prêtresse vaudou se disait voyante et guérisseuse. Ses fidèles l’appelaient « Maman ». Mélite Jasmin, 67 ans, présidait des cérémonies vaudou dans le temple de Marly-la-Ville, pendant lesquelles des dizaines de poulets étaient sacrifiées, parfois une chèvre. Elle entrait en transe devant ses fidèles, qui ont été jusqu’à une centaine. Des victimes qui ont expliqué avoir été dépouillées de leur argent au fil des années et des initiations, parfois poussés au suicide, piégées en tout cas dans l’engrenage de ce qu’elles ont fini par appeler une secte.

Ce lundi après-midi, et pendant trois jours, la grande prêtresse va de nouveau devoir s’expliquer devant la justice. Elle comparait en appel à Versailles deux ans après sa condamnation en première instance, à Pontoise. Le tribunal l’avait alors reconnue coupable d’abus de faiblesse sur des personnes en état de sujétion psychologique ou physique, et lui avait infligé 3 ans de prison ferme. Ses deux filles, des jumelles de 42 ans, avaient été condamnées à 3 ans de prison, dont un avec sursis, pour complicité de ces mêmes faits. Son mari, Hugues, avait de son côté écopé de 18 mois avec sursis.

Outre les peines de prison ferme qui sont susceptibles d’être confirmées à l’encontre de la famille, le procès présente un véritable enjeu financier. Le tribunal correctionnel de Pontoise avait aussi accordé aux parties civiles des sommes allant de 13 000 € à 88 000 € au titre du préjudice matériel, de 5 000 à 40 000 € au titre du préjudice moral, baissant notablement les demandes formulées par les parties civiles. Vingt victimes étaient présentes dans le dossier.

Il avait surtout prononcé la saisie de quatre biens immobiliers de la famille : la maison de Marly-la-Ville qui abritait le temple, les maisons des deux filles situées à proximité, mais aussi la villa de quinze pièces en Guadeloupe, à Morne-à-l’Eau. Une maison estimée à 495 000 €. « Il y a un impératif : amputer le patrimoine de la famille », avait souligné le procureur dans son réquisitoire, lors de l’audience de première instance. « Nous ne jugeons pas une religion mais une entreprise de déstabilisation des êtres, une mécanique de spoliation », avait-il souligné en requérant 5 ans de prison ferme.

L’instruction judiciaire avait démontré que l’argent était au cœur du fonctionnement du temple, qui affichait ses tarifs : 100 € la simple consultation, 3 000 € pour un « travail », plus de 10 000 € pour une initiation, sans compter les nombreux dons en nourriture et alcool.

Lors du délibéré, en avril 2016, la défense avait aussitôt annoncé son intention de faire appel de la décision après avoir contesté tout au long de l’audience les accusations et dénoncé une enquête « à charge ». L’avocat de la famille avait évoqué « des témoins orientés » et « l’emballement de la machine judiciaire ». Il avait demandé « le respect de l’animisme » pratiqué par les prévenus, « leur colonne vertébrale ». Sur le plan financier, la défense avait écarté tout enrichissement de la famille, chiffrant son patrimoine à 892 000 €. « Comptes offshore, voiture de luxe ? En six ans d’instruction, on n’a rien trouvé. »

Des victimes « asservies » et « spoliées »

(LP/Fr.N.)

« Les parties civiles attendent de cette nouvelle audience que la cour confirme leur qualité de victime », confie Me Frédéric Aguillon, qui représente 8 anciens adeptes du temple vaudou. « Ils veulent être reconnus comme ayant été placé dans un état d’asservissement dont les prévenus ont abusé en les spoliant. » Certaines victimes ont évalué les sommes versées au fil des années à des dizaines de milliers d’euros, parfois plus de 200 000 €. « La plupart des critères définis par les différentes commissions d’enquêtes parlementaires sur les dérives sectaires sont réunis dans ce dossier », souligne l’avocat, qui espère la confirmation du jugement.

En première instances, plusieurs parties civiles avaient longuement parlé des années perdues au temple de Marly-la-Ville. « Je suis arrivée à 20 ans, j’en suis sortie à 38. Nombreuses sont les personnes qui, comme moi, y ont perdu leur jeunesse » confie Catherine, 45 ans. « J’attends qu’ils soient punis. L’essentiel, pour moi, est de faire en sorte qu’ils ne peuvent plus recommencer, que personne d’autre ne se fasse avoir. Nous avons perdu beaucoup. Le temps passé, l’épuisement, l’argent… Il y a beaucoup à réparer. »

Louise, 68 ans avait été la bonne à tout faire de Mélite Jasmin, et sa tête de turc. Elle a passé 16 ans dans ce qu’elle appelle « la secte ». Quitter le temple ou ses deux fils ont été initiés a pris des mois. Mais elle franchit le pas, le 14 février 2005, une date à jamais inscrite dans sa mémoire. « J’ai mis des années à m’en remettre. J’étais traitée comme rien. Des années de souffrance et d’humiliation. On est tellement conditionné que l’on se dit que nos vies vont s’arrêter ».

source :

Le Parisien

Frédéric Naizot|08 avril 2018

http://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/marly-la-ville-la-grande-pretresse-vaudou-rejugee-en-appel-08-04-2018-7653180.php