N° 181 – 18 mars 2014.

Un article du journal l’Express en ligne (LE VIF.be) du 3 mars annonce que les créationnistes américains construisent un parc d’attraction dans l’état du Kentucky qui s’appellera Ark Encounter et qui sera inauguré en 2016. Je cite ici l’article de Trui Engels : « (Ils) ont l’intention de reconstruire

Arche de Noé dans le Kentucky
l’Arche de Noé à taille « réelle ». Il s’agira de la plus grande structure en bois des États-Unis. Le parc proposera également une Tour de Babel, un village du premier siècle et des montagnes russes sur le thème des plaies d’Égypte. Certains scientifiques s’opposent à la construction du parc qui selon eux donne « une fausse image de l’histoire et de la biologie » et présente celle-ci « comme un fait ».

Le mouvement chrétien Answers in Genesis à l’origine de la fondation du parc a également créé le Musée de de la Création dans le Kentucky. Ce musée est contesté, car il présente l’origine de l’univers, l’origine de la vie et de l’histoire de l’humanité sur la base de l’interprétation littérale du livre de la Genèse. Ainsi le musée apprend aux visiteurs que la Terre est née il y a 6.000 ans. »

Hum, hum ! Le rabbin va-t-il adhérer à ce projet et conforter les créationnistes américains dont on sait qu’ils sont généralement des intégristes ultra-conservateurs ? Va-t-il dire qu’ils ont tort alors que la Torah que nous lisons semaine après semaine depuis 2500 ans ne dit pas autre chose ? Au secours Darwin ! Qui croire, qui encourager, qui exclure ?

Bien sûr, je suis tenté de dire, comme dans le Talmud : אלו ואלו דברי אלהים חיים, « Ceux-ci et ceux-là sont les paroles du Dieu vivant » ! Et pourquoi pas ? Après tout, ce parc biblique, à condition que quelques explications scientifiques l’accompagnent, peut bien valoir celui d’Astérix. J’aime à penser que des enfants et des adultes pourront se familiariser avec les plaies d’Egypte en faisant des montagnes russes ! Ce sera moins niais et plus instructif que Mickey et Minnie accompagnés de Blanche-Neige, Tigrou et Pluto posant avec de jeunes visiteurs de Disneyland. Mais bien évidemment, il serait souhaitable (ce qui ne sera peut-être pas le cas) que les scènes et événements représentés soient accompagnés, outre du texte biblique correspondant, des commentaires des exégèses juive et chrétienne qui, en général, dépassent le sens littéral du verset pour proposer des explications tenant compte des réalités fondées sur les découvertes géologiques et archéologiques, ainsi que sur l’histoire de l’homme.

Evolutionnisme contre créationnisme
Une fois n’est pas coutume ; c’est un exégète chrétien – mais non des moindres –, un des pères de l’Eglise, Origène (185-253), que je voudrais citer pour éviter que l’initiative du parc d’attraction créationniste tourne au ridicule : « Quel est l’homme de sens qui croira jamais que, le premier, le second et le troisième jours, le soir et le matin purent avoir lieu sans soleil, sans lune et sans étoiles, et que le jour, qui est nommé le premier, ait pu se produire lorsque le ciel n’était pas encore ? Qui serait assez stupide pour s’imaginer que Dieu a planté, à la manière d’un agriculteur, un jardin à Éden, dans un certain pays de l’Orient, et qu’il a placé là un arbre de vie tombant sous le sens, tel que celui qui en goûterait avec les dents du corps recevrait la vie ? À quoi bon en dire davantage lorsque chacun, s’il n’est dénué de sens, peut facilement relever une multitude de choses semblables que l’Écriture raconte comme si elles étaient réellement arrivées et qui, à les prendre textuellement, n’ont guère eu de réalité. »

Il est évident qu’une lecture sensée de la Bible doit à la fois se baser sur l’exégèse qu’ont pu en faire nos différentes traditions, et les données incontournables des sciences de l’homme modernes. Libre à chacun d’imaginer et d’expliquer ensuite que, par exemple, les six jours de la création de la Genèse correspondent, non à des journées de 24 heures, mais à des ères telles que les géologues nous les présentent. Egalement de constater que l’ordre de la création de ce même livre de la Genèse correspond étrangement à ce que la science nous a appris sur l’apparition des océans, la dissociation des continents, l’origine de la vie d’abord dans l’eau, puis sur terre, en commençant par les animaux et en s’achevant par l’homme. Etc. etc. Libre aussi à chacun de trouver des explications rationnelles à l’extraordinaire longévité des premiers hommes (Adam, Noé, Mathusalem), à des phénomènes surnaturels tels que la destruction de Sodome et Gomorrhe ou l’ouverture de la mer Rouge, ou encore des mythes qu’on rencontre dans différentes cultures tels que le Déluge, la tour de Babel, etc.

Il nous faut comprendre que nos textes sacrés ne perdent rien de leur enseignement spirituel et moral en les confrontant aux données de la science et de l’histoire. La Bible n’est pas, pour le judaïsme, un livre dont l’historicité serait le principal intérêt. Si la science et l’histoire confirment certains passages de la Bible, c’est tant mieux. Mais s’ils ont en contradiction avec elle, cela n’a aucune importance puisque ce qui fait la valeur de la Bible, c’est son contenu pédagogique, normatif et fondateur d’un homme libre et responsable vis-à-vis de Dieu, de lui-même et de son prochain.

Les créationnistes sont au meilleur des cas des idéalistes naïfs, au pire des intégristes dangereux. En aucun cas, ils n’ont une approche fidèle du véritable message divin de la Bible. Leur pensée immobiliste et littéraliste ne fait pas d’eux des lecteurs crédibles de nos textes fondateurs. Qu’ils se contentent donc de divertir le bon peuple dans leur parc d’attraction, mais sans prétendre imposer une pensée régressive, sourde et aveugle à la marche du monde et de l’homme guidée par le Créateur de l’univers, laquelle est tout sauf immobilité et fixisme.

source : Rabbin Daniel Farhi.

Rabbin Daniel Farhi
Daniel Farhi, né en 1941 à Paris, est un rabbin d’obédience libérale. Il est le fondateur en 1977 du Mouvement Juif Libéral de France (MJLF). Retraité depuis 2009, il préside actuellement le Centre Culturel Judéo-Espagnol/Al Syete et y enseigne régulièrement. Il a initié en 1991 la lecture publique ininterrompue de 24 heures des Noms des déportés juifs de France durant la Shoah. Il participe régulièrement au dialogue interreligieux entre Juifs, Chrétiens et Musulmans. Il a écrit plusieurs ouvrages dont : “Au dernier survivant” et “Profession rabbin” (Editions Albin Michel). Il est Chevalier de la Légion d’Honneur et de l’Ordre National du Mérite.