Dans trois villes françaises, la Nef est indirectement pointée du doigt pour ses liens anciens avec l’anthroposophie, un courant ésotérique soupçonné de dérives sectaires. Ces liens sont-ils avérés ? Voici ce que l’on peut en dire.

Lyon, Besançon, Rennes : dans ces trois villes dirigées par des listes d’union de la gauche, la Nef ( pour Nouvelle Economie Fraternelle) fait parler d’elle. Récemment, des conseillers d’opposition y ont critiqué le choix fait par ces municipalités d’emprunter de l’argent (1) à cette coopérative bancaire, fondée en 1979 et spécialisée dans le financement de « projets à plus-value écologique, sociale ou culturelle », comme l’indique son site web.

Pourquoi ? En raison des liens existant entre la Nef et l’anthroposophie, un mouvement de pensée pseudoscientifique, créé au début du 20e siècle par l’Autrichien Rudolf Steiner et qui mêle des notions empruntées à diverses religions et mouvements ésotériques. Courant dont certaines branches en France, dans le domaine de l’éducation ou de la médecine, sont dans le collimateur de la Miviludes (2), qui les soupçonne de dérives sectaires.

A Rennes par exemple, Charles Compagnon, chef de file de l’opposition de droite, s’est étonné fin janvier « qu’une ville comme Rennes qui met en avant la laïcité comme une de ses valeurs principales emprunte à une structure qui flirte avec ce type d’organisme ou du moins qui en finance les écoles », comme le rapporte le quotidien régional Le Télégramme. Des critiques qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles proférées à Lyon et Besançon, également par des opposants de droite.

Ces règlements de compte locaux ne sortent pas de nulle part. Dans son rapport d’activité 2021, publié début novembre 2022, la Miviludes cite bien la Nef, à une reprise, dans l’introduction de son chapitre consacré à l’anthroposophie. « [La Société anthroposophique universelle] exerce aussi une influence prépondérante sur certains établissements bancaires « éthiques » au pouvoir financier extrêmement important comme Triodos, GLS ou, en France, la Nouvelle économie fraternelle (Nef) », indique le rapport.

Ils interviennent toutefois dans un contexte particulier pour la Nef. En juin 2022, la coopérative bancaire a déposé auprès de l’ACPR, le régulateur du secteur financier, une nouvelle demande d’agrément. Elle doit lui permettre de s’affranchir de la tutelle du Crédit Coopératif et devenir la « première banque éthique et indépendante de France », capable de proposer à ses clients des comptes à vue et des moyens de paiement, en plus des produits d’épargne et de crédit qu’elle distribue déjà.

La coopérative bancaire La Nef veut s’affranchir du Crédit coopératif

La Nef est-elle effectivement liée à l’anthroposophie ?

Il existe, en effet, des liens historiques entre la Nef, fondée en 1979, et l’anthroposophie. Les fondateurs de la coopérative de crédit, Jean-Pierre Bideau et Henri Nouyrit, faisaient partie des membres français du mouvement inspiré par Rudolf Steiner. « C’est le volet social de ses écrits, plaçant le respect de la personne humaine au centre de tous les mécanismes économiques et financiers, qui a plus particulièrement intéressé [ces] fondateurs », explique aujourd’hui la Nef sur son site web, dans une longue foire aux questions dédiée au sujet.

Dans ce même texte, la coopérative explique toutefois que ce lien avec l’anthroposophie s’est dilué avec le temps, à mesure que la rejoignaient, « en très grand nombre » (elle comptait en 2022 42 000 sociétaires) , « des partenaires et nouveaux sociétaires issus de mouvements écologistes et de l’économie sociale et solidaire (…) » : « C’est avec ces personnes, devenues majoritaires – et ce depuis de nombreuses années, que s’est formée l’identité propre de la Nef. » Elle affirme aujourd’hui cultiver « une totale indépendance politique, religieuse ou philosophique ».

La Nef est-elle accusée de dérives sectaires ?

Elle l’a été par le passé. En 1999, un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les sectes, ancêtre de la Miviludes, l’a accusée de dérives sectaires, au même titre que d’autres mouvements inspirés par l’anthroposophie. Cette accusation, toutefois, a été jugée diffamatoire par les tribunaux, saisis par la Nef. Dans la foulée, en 2003, la Commission bancaire, ancêtre de l’ACPR, a confirmé, après enquête dans les locaux de la Nef, sa « totale autonomie financière » et son « indépendance politique, sociale, religieuse et philosophique ».

La Nef finance-t-elle des écoles liées à l’anthroposophie ?

Elle l’a fait par le passé, mais affirme que ce n’est plus le cas. Sur son site web, la Nef explique qu’elle « ne finance plus d’écoles Steiner depuis 2019. Cette année-là, cela représentait 1 prêt sur 445 et 0,15% du montant total prêté. » La coopérative note également que « plusieurs écoles Steiner-Waldorf en France ne sont pas financées par la Nef et le sont par d’autres banques qui ne publient pas la liste de leurs financements ». A l’inverse, la Nef pratique une totale transparence sur les bénéficiaires de ses financements, en publiant chaque année la liste, consultable sur son site web.

La Nef, enfin, explique que ce financement s’est « inscrit dans une politique de financement des pédagogies actives au sens large ou de projets d’engagements écologiques et solidaires des établissements scolaires. La Nef a ainsi également financé des écoles Montessori, Freynet, Démocratiques (type Sudbury), mais aussi des écoles publiques via le financement de collectivités locales. »

Ces accusations remettent-elles en cause l’agrément de la Nef ?

A priori, non. Suite à l’enquête de la Commission bancaire en 2003, la Nef a pu poursuivre ses activités qui, comme toutes les activités de nature bancaire, sont encadrées et surveillées en permanence par l’ACPR. Déposée en juin 2022, la nouvelle demande d’agrément actuellement examinée par les autorités de régulation a entrainé un complément d’information transmis en novembre dernier. La Nef espère désormais la voir aboutir d’ici la fin du 1er trimestre 2023.

La coopérative, en revanche, craint l’impact de ces accusations sur son activité. « Cette campagne de récupération politique a généré de l’inquiétude chez nos sociétaires, mais aussi chez nos 115 salariés, dont les trois quarts ne savaient même pas ce qu’était l’anthroposophie », explique Ivan Chaleil, qui redoute également que certaines collectivités locales « appliquent un principe de précaution » en ne s’adressant plus à la Nef.

(1) 3 millions d’euros à Lyon, 2 millions à Besançon, 2 fois 4 millions d’euros à Rennes. (2) Mission interministérielle rattachée au ministère de l’Intérieur, chargée notamment d’observer les phénomènes sectaires, d’informer le public sur les risques et de coordonner les actions de prévention et de répression des dérives sectaires.

source :https://www.moneyvox.fr/banque/actualites/91864/vrai-ou-faux-la-nef-cooperative-bancaire-est-elle-liee-a-un-mouvement-sectaire