Depuis le 14 janvier, le romancier était dans un état critique, maintenu sous respiration artificielle à l’hôpital de Sisli (Istanbul). Le ministre de la culture, Omer Celik a déploré la perte d’une « grande âme ». L’ancien président Abdullah Gül a salué l’« intellectuel aux positions libres et indépendantes. Sa dépouille sera inhumée, lundi 2 mars au cimetière de Zincirlikuyu (Sisli) au centre d’Istanbul.
Les Turcs pleurent leur romancier préféré, le chantre de l’Anatolie profonde qui, de sa plume alerte et colorée, sut si bien décrire la nature et les mœurs austères des villageois, ces grands oubliés du tournant modernisateur voulu par Kemal Atatürk dans les années 1920.
{{Né en même temps que la République turque}}
Auteur de trente-cinq romans, Yasar Kemal dressa comme personne le tableau de la Turquie rurale pris en tenaille entre la tradition et la dynamique de transformation de la société. C’est à travers son œuvre que l’intelligentsia occidentalisée allait découvrir l’autre Turquie, conservatrice et religieuse, que l’exode rural allait bientôt précipiter vers les villes.
Yasar Kemal, de son vrai nom Kemal Sadık Gökçeli, est né en même temps que la République turque, en 1923 à Osmaniye dans une famille de paysans kurdes qui avait fui, quelques années plus tôt, la région du lac de Van pour s’établir plus au Sud, dans les environs d’Adana. L’endroit, peuplé de riches propriétaires terriens et de paysans pauvres, est dominé par la chaîne des monts Taurus qui servira de toile de fonds à ses romans.
Lorsque Kemal voit le jour, son père Sadi Kemal a 50 ans, sa mère, Nigar, 17 ans. A cinq ans, l’enfant perd l’œil doit. Ensuite, son père est assassiné sous ses yeux à la mosquée. Des années plus tard, lorsque sa mère lui demande de tuer l’assassin de son père, comme le veut la coutume, l’adolescent refuse.
Premières nouvelles à 20 ans
Amoureux de la vie, il compose des poèmes et n’a pas son pareil pour gratter le saz (instrument à cordes traditionnel) et imiter les bardes. La tradition orale influencera toute son œuvre par la suite.
A neuf ans, le jeune Kemal entre à l’école primaire, pour deux ans seulement car il doit subvenir aux besoins de sa mère. Il sera ramasseur de coton, gardien de nuit, employé du gaz, maçon, conducteur de tracteur, employé de bibliothèque à Adana. Cet emploi est celui qu’il préfère. Il dévore alors avec passion les auteurs de la littérature mondiale, dont Cervantes, Sthendal, Garcia Marquez. Il a vingt ans quand ses premières nouvelles sont publiées.
Accusé, à la fin des années 1940, d’avoir cherché à créer un syndicat de tractoistes, il est arrêté, ses écrits sont confisqués. Lorsqu’il demande à les récupérer, le chef de la police de Kadirli (région d’Adana) lui explique qu’ils ont brûlé servi de combustible pour le poêle du commissariat.
La notoriété avec « Mehmet »
Accusé de « propagande communiste », il est acquitté après plusieurs mois passés en prison. Bientôt, il s’achète une machine à écrire et vivote en offrant ses services comme écrivain public. En 1951, la chance lui sourit, il est engagé par le quotidien Cumhurriyet. Ses reportages sont vite remarqués, entre autres, une série d’articles qu’il rédige sur les enfants des rues. C’est à ce moment-là qu’il prend le pseudonyme Yasar Kemal. En 1952, il épouse Thilda Serrero une intellectuelle polyglotte qui traduira ses romans et sera emprisonnée à plusieurs reprises elle aussi.
La notoriété vient en 1955 avec la publication de Mehmet le Mince. Mehmet, héros épique est une sorte de Robin des bois, un bandit plein de panache qui défend les simples paysans des pratiques féodales de l’Aga (riche propriétaire terrien). Sous les traits de Mehmet, décliné au long d’une vaste saga publiée de 1955 à 1987, se cache l’oncle maternel de l’auteur, Mayro, un rebelle haut en couleur, tué dans un accrochage avec la police à l’âge de 25 ans.
En 2003, durant un séminaire consacré à son œuvre à l’université Bilkent d’Istanbul, le romancier racontera dans quelles conditions il avait rédigé Mehmet le Mince « Cet hiver-là fut des plus glacial à Istanbul. Je n’avais pas un sou pour m’acheter du bois de chauffage. Enroulé dans une vieille couverture je tapais sur ma vieille machine à écrire à laquelle manquaient pas mal de lettres ».
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Militant de gauche}}
Ecrivain engagé, militant de gauche, l’homme a passé une bonne partie de sa vie dans les couloirs des tribunaux pour sa défense ou celle de ses amis. Infatigable porte-parole des laissés pour compte, il est condamné à de courts séjours derrière les barreaux en 1966 puis en 1971. A la fin des années 1970, las des persécutions, il s’installe en Suède avec Thilda pour deux ans.
En 1996, il se retrouve à nouveau sur le banc des accusés. La Cour de sûreté de l’Etat le condamne à un an et huit mois de prison pour avoir dénoncé le sort des Kurdes dans un article intitulé « Le ciel noir de la Turquie ». Grâce à la mobilisation internationale, il ne les fera pas, sa peine sera commuée.
Lauréat de nombreux prix, Yasar Kemal avait été pressenti à plusieurs reprises pour le Nobel de littérature, lequel sera finalement attribué en 2006 à l’écrivain stambouliote Orhan Pamuk, représentant de la Turquie « en col blanc ». Personnage réservé, presque secret, le romancier avait coutume de dire : « Je n’écris pas sur des problèmes, je n’écris pas pour un public, je n’écris pas pour moi-même, j’écris c’est tout ».
source : turquie-news.com
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