A la veille du verdict, la cour d’assises de Chalon-sur-Saône s’est penchée sur le profil psychologique de Valérie Bacot, mère de famille de 40 ans, accusée de l’assassinat de son mari violent.

Par

Catherine Robin

Si les témoignages accablants de la veille n’avaient pas suffi à convaincre les jurés de la personnalité monstrueuse de la victime, les dépositions des deux experts psy passés à la barre en cette matinée du 24 juin bénéficieront sans aucun doute à la défense de l’accus

Comme dans toutes les affaires de violences conjugales, la notion d’emprise est cette fois encore au cœur des débats. Élevée dans un foyer où le père, souvent absent, et la mère, défaillante, divorcent par deux fois, « Valérie Bacot a grandi dans une carence affective et éducative précoce », souligne Denis Prieur, psychiatre expert auprès de la cour d’appel de Dijon. Les repères fondamentaux structurels font défaut. Il n’y a pas de différenciation entre les générations, entre les notions de danger et de protection, de vie et de mort. » C’est notamment « cette difficulté de jugement, cette incapacité à nommer ce qui est dangereux » qui la pousse à idéaliser Daniel Polette à la place de son propre père, face à une mère qui s’effondre et dont elle aimerait tant qu’elle aille mieux pour enfin faire famille.

« J’oserais dire qu’elle a été prostituée par sa mère avant de l’être par son mari »

Daniel Polette, ce tyran domestique que Valérie Bacot décrit, lorsqu’il s’installe dans la maison de sa mère, comme quelqu’un de gentil et d’attentionné, abuse d’elle dès ses 12 ans, sera condamné à quatre ans de prison, avant de revenir vivre dans le foyer, reprenant ses agressions, déménageant avec sa victime enceinte, qu’il n’aura de cesse de violenter, puis de prostituer.

Le piège s’est peu à peu refermé sur la jeune fille sans que personne, ni proches, ni institutions n’aient su la protéger. « J’oserais dire qu’elle a été prostituée par sa mère avant de l’être par son mari », avance Laurence François, psychologue clinicienne et experte auprès du tribunal quand elle fait référence aux visites de Valérie Bacot et sa mère au parloir de son violeur pendant son incarcération. Toute sa vie, Valérie Bacot va subir. Encore et encore. Jusqu’à cette soirée du 13 mars 2016, où elle s’empare d’un pistolet et tire dans la nuque de son agresseur, devenu son mari et proxénète.

« Syndrome de la femme battue »

Comment expliquer ce passage à l’acte ? Quelle personnalité se cache derrière « le visage atone et la voix plaintive et chevrotante » de la jeune femme telle que la décrit Denis Prieur ? « Madame Bacot est sujette à des attaques de panique fréquentes, décrit le médecin quand il la rencontre un mois après son arrestation, le 2 octobre 2017. Elle est isolée dans une bulle mentale, dans un état d’hypervigilance et d’anxiété généralisée, avec des conduites phobiques. Elle souffre d’un syndrome de stress post-traumatique majeur, où l’élément persécuteur de l’homme la poursuit y compris après la mort. »

Si la psychologue Laurence François évoque le syndrome de Stockholm en décrivant que « si elle veut survivre, elle ne peut faire autrement que d’adhérer au comportement maltraitant », le psychiatre, lui, mentionne « le syndrome de la femme battue », rarement évoqué par la justice française, mais clé de voute de la défense de Valérie Bacot. Il détaille : « Certains couples sont construits sur un modèle pathologique. Avec un aliénant et un aliéné. Ce n’est pas la même chose qu’un dominant, car cela va bien au-delà. L’aliéné vit dans un régime totalitaire. Pour parvenir à cet assujettissement total, l’aliénant envoie sans cesse des messages paradoxaux, il souffle le chaud et le froid, donne des injonctions contraires qui vont altérer les capacités de jugement du conjoint. Le discours d’autorité devient un discours de vérité qui prend la place du réel. La victime s’identifie à son persécuteur, elle fusionne. A partir de là, la symbolique de la loi est inaccessible. Le recours à la loi pour se soustraire à la logique de l’aliénant est impossible. Il n’y a plus aucun tiers pour s’interposer. » Comment, dès-lors, trouver une porte de sortie ?

« Elle n’est jamais seule : son mari était toujours dans sa tête »

C’est ce qui, depuis le début du procès, interroge beaucoup l’avocat général, Eric Pallet, qui insiste, dans la quasi-totalité de ses interventions, sur le fait que Valérie Bacot n’a pas su trouver ces « tiers », à savoir frapper aux bonnes portes ou attraper les mains tendues pour s’extraire de sa condition de femme violentée. « J’ai compris que son libre arbitre avait été réduit à sa plus simple expression, reconnait-il. Néanmoins elle n’est pas délirante, elle sait très bien ce qu’elle fait. Elle sait parfaitement la place de chacun. Elle est parfois seule. Mme Bacot a matériellement le temps de demander de l’aide à la gendarmerie. Mais dans sa tête, elle ne s’autorise pas à le faire, c’est ça ? »

Du tac-au-tac, l’expert répond : « Vous dites qu’elle est seule. Mais elle n’est jamais seule. Son mari était toujours dans sa tête. Son autorité, sa violence sont toujours là. L’emprise ne s’arrête jamais. L’injonction à être soumise demeure présente tout le temps. Et souvent, dans ce genre de situation, la seule fin possible, c’est de détruire le sujet aliénant. » Et l’expert de dénoncer au passage « la faille de la société » qui a permis au beau-père de revenir vivre auprès de la jeune fille qu’il avait agressée et de refermer un peu plus ses filets. « Notre rôle est de faire tiers, d’empêcher ça. Ça n’a pas été fait. » « Il a été puni, mais il revient, la loi n’a servi à rien », renchérit Laurence François.

 

« Envahissement toxique, état de terreur, d’épuisement émotionnel »

Par-delà l’emprise, la question de l’altération du discernement est bien sûr l’autre enjeu de ce procès. Dans quel état psychique était Valérie Bacot lorsqu’elle s’est emparée du pistolet après une passe très violente et a tiré sur son mari, assis au volant de sa voiture ? La psychologue Laurence François décrit « une tension interne telle qu’elle a provoqué un mouvement de panique qui l’a empêchée de réfléchir avant d’agir. Comme pour sauver sa peau à ce moment-là. Mais elle n’a pas perdu le discernement. »  Pour le Dr Prieur, il ne fait aucun doute que l’auteure du coup de feu subissait une altération de son discernement au moment des faits. « Madame Bacot reconnait les faits, poursuit-il. Le passage à l’acte est favorisé par un envahissement toxique, un état de terreur, d’épuisement émotionnel, suite à l’état d’hypervigilance permanent. »

La présidente lui demande alors de préciser ces notions si fragiles d’altération et d’abolition, qui ont été tant débattues à la suite de la récente décision de la Cour de cassation dans l’affaire Sarah Halimi. « L’abolition du discernement est rare et traduit que le sujet est agi par une force autre que lui-même. Il y a une rupture avec le réel dans le passage à l’acte, l’auteur est alors déclaré irresponsable, car il n’a pu user de son libre-arbitre. On peut aussi parler d’abolition dans le cas de dépressions graves de type mélancoliques où l’on parle alors de « meurtre altruiste », pour sauver l’autre, le soustraire à un malheur irrémédiable. Avec l’altération, le sujet est pris dans une souffrance psychique importante qui va altérer sa vision du réel. Dans le cas de Valérie Bacot, on voit bien combien elle s’est retrouvée emprisonnée dans l’emprise de son mari. Au-delà de la mort, elle continue à vivre dans la terreur de son retour. »

« La projection sur sa fille lui permet de sortir de l’engrenage »

Ce qui parait toutefois déterminant aux yeux de l’expert, c’est cette question posée par Daniel Polette à sa fille Karline, quelques jours avant les faits (« Comment es-tu sexuellement ? »). Des mots qui font alors craindre à la mère que sa fille subisse le même sort qu’elle. « Cette menace permet de mobiliser le peu qui lui reste de libre-arbitre, explicite Denis Prieur. Enfermée dans sa prison de souffrance, elle ne parviendra à en sortir qu’au moment de sauver ses enfants. De mon expérience, c’est toujours la projection de la propre souffrance de la mère adulte sur l’enfant qui lui permet de sortir de l’engrenage dans lequel elle est enfermée. » Laurence François évoque, elle, des mots qui font « effraction dans la psyché de Mme Bacot ».

« Mais elle fait quand même participer ses enfants à l’enfouissement du corps ! », objecte l’avocat général pour remettre en cause une supposée altération. « Ça me parait plus conjoncturel que programmé, estime Denis Prieur. Ça a été fait dans l’urgence du passage à l’acte. »

Faisant référence aux Métamorphoses d’Ovide, le psychiatre rappelle le mythe de Philomèle, laquelle fut violée par un homme qui lui coupa la langue pour la contraindre au silence. Pour se venger, elle et sa sœur firent dévorer son fils à l’agresseur. « Le persécuteur fait taire la persécutée. Il ne reste plus qu’un seul discours, celui du persécuteur. Comme dans le mythe, les enfants du couple Bacot sont mangés par l’histoire du couple de leurs parents. »

source : https://www.elle.fr/Societe/News/Proces-Valerie-Bacot-jour-4-L-emprise-ne-s-arrete-jamais-3933861
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Catherine Robin
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