Dans la mécanique des féminicides
En France, 146 femmes sont mortes en 2019 sous les coups de leur conjoint, rappelle le documentaire d’Aurélia Braud. Marcelo/Adobe

C’est d’abord un chiffre qui fait froid dans le dos. En France, en 2019, 146 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint, rappelle d’emblée le documentaire d’Aurélia Braud. Afin de comprendre comment la société n’a pas su prévenir ces drames fréquents, la réalisatrice a décidé d’aller au-delà des statistiques et de décortiquer les rouages de trois affaires récentes.

Les victimes s’appellent Sindy, Michèle et Dorothée. Elles ont toutes en commun d’avoir été des femmes sans histoires, avant de décéder dans l’extrême violence de leur conjoint. La première a été abattue alors qu’elle était enceinte de six mois, devant deux de ses enfants. La deuxième a été tuée, avec sa fille, au bout de plus de vingt ans de vie commune. La troisième a été frappée à coups de couteau, lors d’un repas de Noël.

Afin de comprendre l’engrenage qui a conduit à leur décès, la caméra va à la rencontre de proches de ces couples. Voisins, amis, connaissances… Tous retracent à tâtons le portrait de femmes et d’hommes, dont ils n’ont, au fond, connu que des apparences. Aussi chaque histoire se reconstitue à la façon d’un puzzle, pièce après pièce. Voici ce meurtrier qui allait chercher son fils à ses cours d’escrime et fêtait des promotions imaginaires alors qu’en réalité, il était au chômage, désocialisé et alcoolique. Ou cet ancien militaire devenu cocaïnomane.

Au fil des témoignages, une même mécanique se dégage : isolement social, addiction, manipulation… Ces hommes violents, dans leurs rares échanges avec l’extérieur, parvenaient à se composer une image avenante, comme on se raccroche à une illusion, peut-être pour mieux se cacher à eux-mêmes leurs échecs. Dans un jeu à la limite de la folie, avoir une femme était un maillon essentiel. Mais celle-ci, parce qu’elle était aussi le témoin de leurs failles véritables, est un jour, devenue insupportable à leurs yeux.

  • Emmanuelle Lucas,