Le Catalan Francis Auzeville, colonel de gendarmerie en retraite, lutte depuis
2004 contre les dérives sectaires dans les Pyrénées-Orientales. Recevant des
demandes “tous les jours”, il enchaîne les enquêtes avant de saisir le procureur
de la République.

Président national et régional du Centre contre les manipulations mentales, il vient de publier un ouvrage édité par l’association,”Le psycho-spirituel mis à nu”. Un cri d’alarme qui résonne plus fort encore depuis l’épidémie de Covid 19. “Les gens ont été reclus, ils ont besoin de se
faire du bien et les gourous, qui se sont multipliés, continuent d’en profiter pour
faire fortune”, décrypte-t-il. Dans le département, “nous avons davantage un
phénomène qui touche les personnes isolées et le filon le plus exploité porte sur
le bien-être”.

Francis Auzeville, quelle est votre mission ?
Accompagner les victimes de manipulations mentales. À Paris elles viennent nous
voir. Dans les P.-O. c’est essentiellement par téléphone avec l’aide d’une psychologue
clinicienne. Sachant que les personnes sous emprise ne portent pas plainte, ce sont
surtout leurs parents qui nous contactent, inquiets d’avoir perdu de vue leur enfant.

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Qu’est-ce que la dérive sectaire ?
C’est un détournement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion ayant pour but
de créer, maintenir et exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique
ou physique. La manoeuvre : la priver d’une partie de son libre arbitre avec des
conséquences dommageables pour elle, ses biens, son entourage ou la société.

Quels sont les signaux d’alerte d’une emprise ?
La personne s’éloigne de plus en plus de ses proches. Dans un premier temps, le
gourou séduit l’adepte en lui disant qu’il est le plus beau, le centre du monde. Ensuite, il
le déstabilise afin de le contrôler et de l’isoler du monde extérieur. Et c’est là que les
liens avec la famille vont se détendre jusqu’à ne plus exister. Après, on passe à la
déconstruction mentale. Pour le nouveau disciple, seul le maître spirituel est censé
détenir la vérité et assurer sa sécurité. Tous les autres mentent, le monde extérieur
est présenté comme un danger permanent.
Les deux territoires les plus touchés sont le Vallespir et le haut-Conflent
Quelle est la motivation des gourous ?
L’argent et le sexe. Les gourous se retrouvent tous à la tête d’une fortune et bien
souvent ils ne se contentent pas que d’une femme. C’est typique à tous.
Sur quelles dérives sectaires présumées travaillez-vous dans les Pyrénées-
Orientales ?
Les Témoins de Jéhovah, c’est la plus grosse secte, ils sont un millier facile dans le
département où ils ont quelques salles. Ce qui me préoccupe chez eux, ce sont les
enfants astreints à suivre tous les jours une formation et le fait qu’ils ont leurs propres
médecins. Aux Etats-Unis c’est une religion, en France c’est une dérive sectaire.
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Avez-vous d’autres exemples locaux ?
Les deux territoires les plus touchés par ces phénomènes sont le Vallespir et le haut
Conflent. Ce sont des secteurs de montagne, des coins isolés, des terres pas trop
chères et il y a toujours une vieille bâtisse à reconstruire. L’explication remonte à 2009.
À l’époque, Bugarach avait attiré beaucoup de gourous dont certains se sont installés
dans le Vallespir où ils ont construit des blockhaus pour se protéger de la fin du monde.
À l’image de Ramtha, une secte américaine représentée par un kiné de Céret qui
avait construit des bunkers à Lamanère. La mairesse de l’époque s’était d’ailleurs
inquiétée parce que, si les disciples avaient monté une liste aux municipales, elle aurait
été battue tant ils étaient plus nombreux que la population de base.
Le prétendu sexologue avait ouvert son cabinet sur un
bateau
D’autres enquêtes en cours ?
Le Loup Blanc qui s’est récemment installé à Prats-de-Mollo, mais il n’a fait que passer
avant d’aller en prison. Par contre, il a toujours ses fans sur place. Sinon, j’ai des
signalements sur le youtubeur Thierry Casasnovas, crudivore. Il a été élu conseiller
municipal dans la commune de Taulis et il s’est vite retrouvé à la tête d’une belle
fortune mais je ne peux pas en parler car la justice s’est saisie du dossier. Enfin, il y a
les Béatitudes qui abriteraient des choses pas nettes.
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victime
Qu’en savez-vous ?
Sur un signalement, nous avons mis le nez là-dedans. Des personnes qui arrivaient à
en sortir se retrouvaient sans couverture sociale, sans cotisation pour la retraite. À
l’origine, les Béatitudes étaient une communauté catholique, chrétienne. Un
jour, quatre copains ont créé une communauté laïque et ont recruté dans les
Pyrénées-Orientales, demandant à l’évêque de l’époque de leur confier l’abbaye de
Saint-Martin du Canigou où ils se sont installés. Leur méthode est la suivante :
lorsqu’un adepte est pris dans les filets, il signe une décharge léguant tous ses biens.
En même temps, il donne son temps, du lever au coucher du soleil et il n’est jamais
rémunéré. Le gourou c’était Gérard Croissant qui a été évincé par le Vatican.
Quelle dérive sectaire locale vous a le plus marquée ?
C’était un médecin urbain. Il se disait sexologue et psychosomato-analyste. Quand il
avait un adepte, il essayait de le plumer, ça se passait lors des consultations.
Suspendu 4 ans par le conseil de l’ordre, il est parti exercer en Espagne avant de
revenir ouvrir son cabinet sur un bateau à quai à Saint-Cyprien. Aujourd’hui, il est
installé en Conflent. Sinon, je suis en train de travailler sur un autre thérapeute qui fait
des émules dans le département avec son école française de l’énergie quantique
basée du côté d’Avignon. Ses formations coûtent entre 9 000 et 13 000 euros. Un de
ses élèves s’apprête à monter son propre centre dans le département.

source :

Laure Moysset et Corine Sabouraud