Présenté mercredi en conseil des ministres, un projet de loi relatif à la protection de l’enfance vise à colmater des brèches dans le système de prise en charge des mineurs en danger, aujourd’hui à bout de souffle. Un texte très a minima, regrettent nombre d’observateurs.
 Alors que des scandales à répétition exposent au grand jour les défaillances de la prise en charge des enfants placés en France, le gouvernement a adopté, mercredi, en Conseil des ministres, un projet de loi qui manque singulièrement d’ambition.

Le texte, qui doit être examiné à l’Assemblée nationale dans la première quinzaine de juillet, s’avère un patchwork de dispositions souvent techniques, destinées à colmater quelques brèches, à parer au plus pressé, mais à mille lieues de repenser la cohérence de la protection de l’enfance, une politique publique déconcentrée qui repose sur les départements (dont les services suivent 350 000 mineurs environ) et leurs moyens insuffisants (8 milliards en 2019). Au passage, l’exécutif injecte des mesures propres aux mineurs étrangers, qui risquent de compliquer l’accès à leurs droits.

Il semble pourtant évident, après un an et demi de pandémie, que le système craque de toutes parts. Une grande partie des acteurs de terrain se disent à bout de souffle. « Ce texte n’est pas à la hauteur des besoins, regrette ainsi une éducatrice spécialisée dans les Alpes-Maritimes, Esther, élue CGT. Au cours des dix dernières années, la situation s’est terriblement dégradée, en premier lieu à cause de la fermeture de places d’hébergement pour accueillir les enfants protégés. »

Une fausse interdiction des hôtels. Le projet de loi pose le principe d’une interdiction des placements de mineurs en hôtels, en résidences hôtelières ou dans des établissements pensés pour les congés ou les loisirs. Bref, des lieux inadaptés. En décembre 2019, une agression entre deux jeunes confiés au département des Hauts-de-Seine et hébergés dans un hôtel de Suresnes avait fait un mort et provoqué un scandale.

Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) commandé dans la foulé a révélé que 5 % des mineurs pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (liés aux départements) sont concernés en France. Et jusqu’à 28 % des mineurs étrangers « non accompagnés » (MNA dans le jargon), auxquels la France doit protection dès lors que leur minorité est reconnue et qu’ils n’ont pas de famille sur le territoire.

Le projet de loi prévoit toutefois des dérogations, pour une durée qui ne pourra excéder deux mois. « Il serait abusif de parler d’interdiction, réagit Lyes Louffok, ex-enfant placé devenu éducateur spécialisé et chargé de plaidoyer pour l’association Repairs! qui défend des anciens de l’ASE. Le gouvernement légalise de fait l’hébergement en hôtel pour deux mois ! » Lui plaide pour une interdiction totale, au terme de six mois de transition qui permettraient aux services départementaux de s’organiser.

Le conseil national de la protection de l’enfance (instance placée auprès du premier ministre) regrette de son côté que ce texte ne garantisse pas « l’accompagnement éducatif des enfants accueillis temporairement en hôtel et le transfert budgétaire afférant », d’après un avis sur le projet de loi remis le 31 mai au gouvernement.

La prévention des maltraitances. Le texte crée un fichier national des agréments pour contrôler les professionnels qui exercent dans plusieurs départements ou qui seraient susceptibles de changer de département à la suite d’un retrait d’agrément. Réclamé de longue date par les associations d’anciens enfants placés, il sera piloté par le nouveau groupement d’intérêt publique Enfance en danger, mais le texte ne précise pas les moyens qui lui seront alloués.

Dans cette veine, plusieurs dispositions visent à améliorer la sécurité des enfants : un article systématise le contrôle des antécédents judiciaires de tous les adultes travaillant auprès des enfants placés (le gouvernement promet d’écarter toutes les personnes « ayant été condamnées pour infractions sexuelles ») ; le texte inscrit dans le marbre la formation des professionnels de la protection de l’enfance au repérage des maltraitances ; il oblige tous les établissements de l’aide sociale à l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse à formaliser, dans leur projet d’établissement, une politique de lutte contre la maltraitance.

Enfin, le texte crée un « référent externe » au niveau départemental, que les enfants pourront saisir directement en cas de problème dans leur foyer par exemple. Mais « cette mesure est largement insuffisante, car elle signifie que l’établissement et le Département seront encore une fois juge et partie », critique Lyes Louffok. L’association Repairs! préconise plutôt de mettre en place « des cellules de contrôle dans chaque département – avec la préfecture – avec un programme annuel d’inspections conjointes des établissements et services en charge de la protection de l’enfance et de rendre obligatoire l’affichage dans les établissements d’un numéro d’alerte départementale ».

Au fond, l’ensemble de ces dispositions paraît insuffisant pour prévenir les risques de maltraitance institutionnelle, tant qu’il n’existera pas de normes d’encadrement pour les lieux accueillant des mineurs de l’ASE. En janvier, le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, avait bien annoncé la création d’un quota minimal d’encadrement après une enquête de « Pièces à conviction » (France 3) sur les défaillances de l’ASE. Si la mesure figurait dans une version provisoire du texte, elle a disparu du projet de loi soumis au Conseil des ministres.

Le traitement des assistants familiaux. Un volet vient répondre en partie aux revendications des 40 000 professionnels qui accueillent près de 76 000 enfants placés (en 2019), dont une bonne part s’approche par ailleurs de la retraite. Alors que les salaires varient aujourd’hui du simple au double selon les départements, le projet de loi vise une harmonisation, avec une rémunération minimale pour un enfant confié indexée sur le Smic. Ces assistants familiaux bénéficieront d’une rémunération complète même si toutes les places d’accueil ne sont pas occupées, et leur salaire sera maintenu pendant quatre mois en cas de suspension d’agrément. Alors qu’ils réclamaient d’être intégrés à la fonction publique territoriale, leur revendication est retoquée à ce stade.

Mesures polémiques sur les mineurs étrangers. Le texte oblige tous les Départements à recourir au fichier dit « d’aide à l’évaluation de la minorité », récemment créé, censé aider les collectivités à repérer les jeunes dont la minorité a déjà été rejetée dans un département voisin, et à lutter ainsi contre le « nomadisme administratif » supposé des MNA. Il contraint les Départements à transmettre leurs décisions de rejet à la préfecture. Sans quoi ils perdront la contribution financière que leur verse l’État pour la prise en charge des MNA (voir nos articles sur ce fichier ici et ).

« Cette loi va inciter chaque conseil départemental à conventionner avec l’État en échange de financements. La Seine-Saint-Denis, Paris et le Val-de-Marne, qui refusent aujourd’hui d’entrer des informations à caractère personnel dans le fichier, seront pénalisés, décrypte Lyes Louffok. C’est une coercition à sens unique… Parce qu’à l’inverse, on laisse les Hauts-de-Seine faire 560 millions d’euros de réserves alors qu’ils ne construisent pas de places d’hébergement. Cela manque de cohérence et de logique. »

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Sur ce sujet des MNA, le conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) pointe des dispositions « hors de propos ». Pour l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (une association regroupant des structures à but non lucratif), Jérôme Voiturier estime aussi que « ces articles posent clairement problème, ils n’ont rien à faire dans une loi sur la protection de l’enfance ». Le gouvernement prend d’ailleurs le risque de voir les débats parlementaires se cristalliser sur ce sujet et se détourner du principal…Certains Départements n’ont pas attendu, s’agissant des MNA, pour imposer leur approche sécuritaire. Sur le terrain frontalier des Alpes-Maritimes, Esther constate que « les prises en charges se dégradent, l’étayage s’effondre. On nous demande à nous, travailleurs sociaux, de faire de la prévention sécuritaire de la radicalisation et de la délinquance, et on délaisse les familles et les enfants vulnérables. Il faut que la protection de l’enfance redevienne une politique d’État ».

Alors que le premier tour des élections départementales a lieu dimanche 20 juin, « les collectivités territoriales sont très peu citées dans le texte, constate Jérôme Voiturier. Or, comme le débat parlementaire sur le projet de loi va coïncider avec le renouvellement des acteurs au sein des conseils départementaux, il faut réussir à sortir des difficultés financières et de gouvernance », espère-t-il.

Le pilote de la protection de l’enfance. Un article du texte institue un nouveau CNPE, qui prendra la forme d’un groupement d’intérêt général, rassemblant des acteurs de la protection de l’enfance et de l’adoption, des représentants des familles, des parents et des enfants. Un ravalement qui paraît insuffisant au regard des recommandations du rapport publié fin 2020 par la Cour des comptes, intitulé « Protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant ».

De nombreux trous. L’actuel CNPE regrette « un manque d’ambition » général du texte. L’idée d’introduire des avocats spécialisés auprès des enfants au cours des procédures n’a pas été retenue : elle aurait pu aider non seulement à ce que leurs droits soient mieux défendus dans le bureau des juges qui décident des placements et autres mesures éducatives, mais aussi, tout simplement, à ce que ces procédures leur soient davantage expliquées.

Le texte n’instaure pas non plus de contrôle annuel de l’action des Départements par les services déconcentrés de l’État. Pas plus qu’il n’aborde les conditions de travail des salariés de la protection de l’enfance, confrontés à une crise des recrutements et une grande souffrance au travail.

Enfin, contrairement aux promesses initiales de l’exécutif, aucune mesure n’est envisagée pour mieux accompagner les jeunes majeurs à l’issue de leur prise en charge par l’ASE, alors que 63 000 sont aujourd’hui à la rue, d’après une évaluation de l’association Repairs!.

source : https://www.mediapart.fr/journal/france/160621/enfants-en-danger-un-projet-de-loi-mille-lieues-des-enjeux?utm_source=20210616&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-20210616&M_BT=1571731699959

Par Clotilde de Gastines