L’enquête conduite par l’historien Philippe Portier sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique a porté sur les caractéristiques des ecclésiastiques agresseurs, sur le profil de leurs victimes et la façon dont l’institution a géré ces affaires.

Membre de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique (Ciase) et directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, le sociologue et historien Philippe Portier a conduit, à partir des archives, une enquête sociohistorique sur les violences sexuelles commises par des prêtres ou des religieux sur des mineurs et des majeurs vulnérables.

Avec son équipe de recherche composée de Paul Airiau, docteur en histoire religieuse, Thomas Boullu, docteur en histoire du droit, et Anne Lancien, docteur en science politique, il a eu accès aux archives des diocèses (un seul leur en a refusé l’accès), des congrégations religieuses, aux archives nationales de l’Eglise ainsi qu’à celles de la justice. Il retrace les principaux résultats issus de ce travail concernant le nombre et les caractéristiques des ecclésiastiques abuseurs, le profil de leurs victimes et l’attitude de l’institution concernant ces agressions.

Avez-vous pu déterminer combien de prêtres et religieux auteurs de violences sexuelles sur des mineurs les diocèses et les congrégations connaissaient, depuis 1950 ?

Nous avons cherché à savoir combien on pouvait repérer de prêtres et de religieux abuseurs certains depuis 1950, à travers les archives de l’Eglise, les témoignages à la Ciase et les dossiers judiciaires. Ils sont à peu près 3 000, dont on connaît l’identité et dont les agissements sont avérés. Sur ces 3 000, l’Eglise en connaissait nommément 1 800, présents dans les archives. Depuis 1950, l’Eglise compte à peu près 110 000 prêtres et religieux – les religieuses sont très peu nombreuses parmi les abuseurs sexuels, une dizaine. Cela donne un taux d’abuseurs d’environ 3 %, ce qui situe la France dans le bas de la fourchette établie par les enquêtes faites dans d’autres pays [Etats-Unis, Allemagne, Australie, Irlande, Pays-Bas].

C’est un plancher bien sûr, un nombre minimal. On ne doit jamais confondre la « criminalité apparente » avec la « criminalité réelle ». Il s’agit cependant d’un plancher très solide dont les éléments sont attestés avec certitude dans les documents dont nous disposons. L’écart entre la situation française et les situations étrangères s’explique par les modalités de notre enquête, réalisée au plus près des archives, mais aussi par le modèle de relations qui s’est noué en France entre l’Eglise, l’Etat et la société.

Comment la distribution des abus a-t-elle évolué dans le temps ?

On repère trois périodes. La première court jusqu’au début des années 1970. C’est la période culminante des abus. Puis vient une phase de déclin du nombre d’abuseurs repérés ; elle dure jusqu’au milieu des années 1990. On trouve enfin une stabilisation, avec une pente légèrement ascendante dans les années 1990-2010, sans que l’on n’atteigne jamais, très loin de là, le niveau des années 1950-1960. Il y a donc, en 2010-2020, beaucoup moins d’abuseurs déclarés ou repérés qu’au début de la période.

source : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/05/pedophilie-dans-l-eglise-la-predation-clericale-demeure-a-un-niveau-significatif-quoique-moins-eleve-que-dans-les-premieres-decennies-de-la-periode-analysee_6097204_3224.html

Propos recueillis par