Suicide collectif de Montreux, «thèses complotistes» ou dérive sectaire?

 

Près d’une semaine après le drame qui a couté la vie à quatre Français, dont une enfant, les autorités s’interrogent sur les motivations de la famille, qui faisait preuve d’un intérêt pour «les thèses complotistes et survivalistes», posant la question d’une possible dérive sectaire.

La thèse du suicide collectif, vers laquelle s’oriente la police cantonale de Vaud au sujet du drame de Montreux, où quatre membres d’une même famille ont trouvé la mort en sautant du balcon de leur appartement, ravive de funestes souvenirs en Suisse romande. C’est dans cette partie est de la confédération helvétique que l’Ordre du temple solaire (OTS) avait fait le plus grand nombre de victimes en octobre 1994, dans les cantons de Fribourg et du Valais. Mêlant ésotérisme et références templières, cette secte apocalyptique fondée sur la croyance en une dimension parallèle accessible en se donnant la mort aurait compté près de 450 membres au début des années 90 en Suisse, en France et au Canada. Elle a été à l’origine du décès de 74 personnes lors de trois vagues de tueries collectives jusqu’en 1997.

A Montreux, les enquêteurs ont écarté le scénario de l’intervention de tiers extérieurs, soulignant dans un communiqué l’intérêt marqué de la famille, «depuis le début de la pandémie», pour «les thèses complotistes et survivalistes». Avant de chuter du septième étage de leur immeuble, les victimes avaient en effet rempli des pièces de vivres comme «pour faire face à une crise majeure». Mais à ce jour, les investigations n’ont pas révélé «d’éléments en lien avec un volet sectaire», a indiqué à Libération le porte-parole de la police cantonale.

«Cela reste tout à fait caché»

Manéli Farahmand, directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances de Genève, n’a quant à elle pas constaté «de développement particulier de tendances néo-templières», comparables à l’Ordre du temple solaire et ses ramifications «actuellement en Suisse romande». «Nous savons qu’il y a encore des membres de l’OTS dans la nature, des groupuscules se sont peut-être reformés mais plutôt dans le sud de la France, il est probable que des liens persistent avec la Suisse, mais cela reste tout à fait caché. Est-ce qu’ils se réunissent juste pour le souvenir ? Ça, on ne le sait pas», souligne Danièle Muller-Tulli, présidente de l’Association suisse pour la défense de la famille et de l’individu et présidente d’honneur de la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme.

Le complotisme évoqué par la police suisse pourrait-il être assimilé à une nouvelle forme de dérive sectaire ? «Oui et non, considère Danièle Muller-Tulli. Ces courants réunissent des groupes qui sont en rupture avec la société par une pensée négative, contre quelque chose. Cela peut aboutir à des ordres donnés pour pousser les gens à faire des choses catastrophiques. Mais dans les sectes, il y a une tête, une organisation. Or les thèses complotistes restent très mouvantes en circulant d’abord sur Internet et les réseaux sociaux.» Ce vecteur pourrait également avoir joué un rôle dans le drame de Montreux, estime Manéli Farahmand : «Le repli de la famille sur elle-même, avec peu de sociabilités externes, pourrait indiquer qu’elle nourrissait principalement ses croyances via Internet.»

«Système de croyances composite»

La spécialiste pointe également «l’emprise psychologique de l’un des membres de la famille» comme «une piste à envisager». Et «le port d’une cape verte»«les bains systématiques au milieu de la nuit», dont a témoigné un voisin interrogé par Libération, ou encore «la ligne survivaliste» pourraient être des indices d’un «référentiel religieux ou spirituel». «Mais ces éléments ne sont pas suffisants pour l’affirmer avec certitude et surtout, il est difficile d’identifier une inspiration religieuse en particulier», souligne Manéli Farahmand, qui esquisse l’hypothèse d’«un système de croyances composite et personnalisé, avec divers emprunts idéologiques et une certaine lecture de l’actualité».
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